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Le puits

Le Puits

Le Puits
de Ivan REPILA
ed. DENOËL

«-Impossible de sortir on dirait, dit-il. Puis il ajoute : Mais on sortira.»

Deux frères, le Grand et le Petit, sont prisonniers, tombés on ne sait comment dans un puits de sept mètres de profondeur au cœur de la forêt. Ils ont avec eux un sac contenant une miche de pain, des tomates séchées et des figues. Mais c’est la nourriture de leur maman et le Grand a décrété qu’ils n’y toucheraient jamais. Alors les deux frères raclent les asticots sur les parois du puits et boivent l’eau de pluie, ils dépérissent peu à peu dans ce trou, au bord duquel les loups viennent rôder la nuit.

«- Je ne veux pas dormir tout de suite. Ça me fait peur.
- Pourquoi ?
- Parce que je fais des rêves… des rêves bizarres. Je rêve que je mange des choses que je ne devrais pas manger. Je rêve de maman. Mes rêves sont horribles…
- N’aie pas peur des rêves, ils ne sont pas réels. Ce sont des pensées qui se mélangent dans nos têtes, des souvenirs qu’on ne peut pas exprimer avec des mots. Si tu rêves que tu manges, ca veut dire que tu as faim, c’est tout. Si tu rêves que tu voles, ça veut dire que tu veux rentrer à la maison… D’accord ?
Le Petit fait oui du menton. Les mots de son frère le tranquillisent ; il ferme les yeux. Avant de s’endormir, il lui demande dans un filet de voix :
- Et rêver que je mange maman, ça veut dire quoi ?»

Le Grand et le Petit s’entraident et s’insupportent. Et la folie peu à peu emporte le Petit, qui réinvente un monde fait d’hallucinations à l’intérieur du puits.

«-Si je voulais, dit le Petit, couché sur le dos, les bras écartés comme un crucifié, je pourrais changer l’ordre des choses. Je pourrais déplacer le soleil pour qu’il nous réchauffe en fin d’après-midi et qu’on n’ait plus froid après la sieste. Je pourrais rapporter jusqu’ici les odeurs du village : nos narines s’empliraient de pain encore chaud, de gâteaux aux pommes, de chocolat. Je pourrai construire un escalier en colimaçon qui irait du puits jusqu’aux arbres, puis se transformerait en rampe pour qu’on puisse redescendre d’un petit saut, sans se faire mal. Je pourrais transformer l’eau en lait, les insectes en poule et les racines en réglisse. Mais je n‘en ai pas envie. Je veux rester là. Ne rien faire. Ça me suffit si l’univers tourne autour de moi. C’est notre sort à nous, les morts.»

S’entraider, survivre, se venger.
Ce premier roman, conte saisissant de l’espagnol Iván Repila, paru en 2013 (traduction Margot Nguyen Béraud chez Denoël en 2014), est un puits d’où les métaphores qu’on puise semblent ne pas se tarir.