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120 journées

120 journées

120 journées
de Jérôme NOIREZ
ed. CALMANN-LÉVY

Il n'est pas évident de parler de ce roman, et d'autres l'ont fait bien mieux que vos libraires préférés. N'hésitez pas à écouter la très belle et très juste chronique d'Alice Abdaloff dans la Salle 101.

Huit adolescents à divers niveaux d'un même collège sont enlevés par quatre adultes, enfermés avec eux dans un Silling qui évoque une briquetterie à l'abandon, une friche industrielle. Les grandes lignes sont annoncées clairement par les adultes : ils seront captifs 120 jours (120 chapitres) pas un de plus, pas un de moins. Entourés d'un violeur pédophile récidivste comme garde-chiourme et d'une mère infanticide comme intendante, ils devront se plier aux exercices auxquels on les soumettra.

Tous les dix jours, Duclos, auteur de pièces radiophoniques, doit intervenir (à distance) pour raconter une histoire aux adultes et adolescents de Silling. L'homme ne croit pas vraiment que son public existe, mais joue le jeu parce qu'il a besoin de payer ses factures, pour sa fille, sa crapote, avec laquelle il vit.

Les trois univers se côtoient, s'immiscent les uns dans les autres, poreux : l'intérieur de Silling, l'extérieur (via Duclos et sa fille), et les histoires qui sont des chapitres à part entière.

Empruntant aux 120 journées de Sodome du bon marquis sa construction et ses grands thèmes, Jérôme Noirez ne réécrit pas Sade. Certes il y a violence et une certaine forme de perversion : humiliation, viol, meurtre ; mais au second plan, souvent en hors champ. En pleine lumière, le corps de l'adolescent comme champ de bataille entre l'enfance et le monde des adultes. Un monde en pleine contradiction, écartelé entre le besoin d'infantiliser et l'injonction "grandis un peu".

Ce champ de bataille est contrebalancé par le "jardin" de Duclos (auteur radio) qui regarde sa fille pousser, au milieu des escargots, préservant leur part d'enfance à tous les deux. 

A mi-chemin, les contes cruels élaborés pour Silling, entre imaginaire flippant et personnages tendres.

Jérôme Noirez n'explique pas les motivations de ses personnages : ni la passivité des adolescents, ni le projet fou des adultes, ni l'origine de certains éléments (comme le jeu vidéo). Chaque chapitre étant une journée, on ne revient pas en arrière, jamais. Si un événement s'est produit dans l'ombre, il y restera. Il ne s'agit pas de comprendre mais de ressentir et de se reconnaître. La grande part faite au sous-jascent, à l'implicite et au hors-champ est un des intérêts majeurs de ce roman.

Comme dans Féérie pour les ténèbres ou Les leçons du monde fluctuant, l'écriture est splendide, et permet ce mélange unique et propre à l'auteur de naïveté et de cruauté à parts égales.