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Grotte

Grotte

Grotte
de Amélie LUCAS-GARY
ed. CHRISTOPHE LUCQUIN ÉDITEUR

La plus célèbre grotte d’art pariétal du monde et son (très) étonnant gardien.

Publié en septembre 2014 chez Christophe Lucquin, le premier roman d’Amélie Lucas-Gary aurait peut-être pu se titrer « Gardien » plutôt que « Grotte », tant le site périgourdin évidemment inspiré de Lascaux, de ses 17 ou 18 000 ans d’histoire et de ses 1 900 représentations pariétales, découvert (ou plutôt « inventé », comme il doit être dit en toute rigueur, et comme c’est le cas dans le roman) en 1940, interdit à la visite depuis 1963, et de sa copie conforme, ouverte au public en 1983, Lascaux II, bien qu’irriguant de sa fraîcheur caverneuse, primordiale, mythique et secrète l’ensemble du roman, s’efface régulièrement, tout au long des 170 pages, au profit du maître des lieux, anodin de prime abord et au commencement, mais révélant sa formidable, déroutante et inquiétante stature à mesure que le temps s’écoule.

Une fille que j’aimais me conduisit ici ; elle voulait que je visite sa région natale, imaginant que nous y vivrions ensemble un jour. Finalement, à peine arrivée, elle tomba dans les bras d’un garçon du pays. Je pris alors une petite chambre dans le coin ; je pouvais m’installer là, puisque rien ne m’attendait ailleurs.
Le village que je choisis était remarquable et le moment propice : en haut d’une colline se nichait la grotte préhistorique ornée la plus célèbre au monde, dont le gardien mourut peu de temps après mon installation. Une foule de prétendants s’étaient immédiatement manifestés pour assurer sa succession ; quelle qu’eût été la décision, il n’y aurait eu qu’une minorité de satisfaits et des centaines de mécontents. Dans ce contexte, les autorités firent un choix audacieux, qui ne pouvait faire de jaloux tant il était incongru : ils me désignèrent, moi. Aucun villageois ne fut vraiment content, mais tous préférèrent cela, plutôt que de voir l’un d’eux triompher.
Mon destin prit alors un tour singulier. Sur cette colline, je connus une éternité tour à tour trépidante et assommante, jusqu’au jour où une force inconnue fournit encore une fois à mon destin l’impulsion implacable du renouveau.

Lascaux II

Création de Lascaux II, supervisée par l’artiste Monique Peytral.

Énumérant les anecdotes de nature d’abord imprécise, qui ne sont qu’initialement d’apparence décousue, se contredisant occasionnellement, revenant sur une donnée jadis établie pour la corriger, l’amender ou y ajouter subrepticement un complément « oublié », se découvrant au fil des pages d’un cynisme indéniable et d’une violence rentrée non négligeable, le gardien de la grotte, surtout lorsque de petits glissements de terrain fantastique commenceront à se manifester, et lorsque le temps, bizarrement, semblera s’allonger, devient lui-même mythe incarné : du protecteur efficace et dévoué de l’art des origines humaines, se dégage progressivement le Misanthrope Suprême, prompt à la colère sous ses anciens airs rampants, doucereux et prudents, incarnant toujours davantage une divinité rugueuse et vengeresse, tellurique en diable, soucieuse d’une nature immémoriale beaucoup plus que des fragiles et bien passagers occupants humains des lieux.

Je suis le gardien d’une grotte, je vis juste au-dessus. Dessous, c’est creux, étroit, frais, humide et silencieux. Je me répète souvent ces mots ; ils résonnent et réconfortent ma solitude.

Un surprenant et fort réjouissant conte grinçant, maniant allègrement des registres narratifs bien différents, déconcertant la lectrice ou le lecteur comme à plaisir, jamais gratuitement, pour un final en forme d’éternel retour sans compromis.