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Le général Solitude

Le général solitude

Le général solitude
de Eric FAYE
ed. SEUIL

Venezuela, 1818. La colonne du général Soledad disparaît dans la jungle... Amour, amitié, vertige.

Publié en 1995, le premier roman d'Éric Faye était le développement d'une nouvelle parue trois ans plus tôt dans la revue Le Serpent à Plumes (que l'on continuera longtemps à regretter...).

Lors de la guerre d'indépendance du Venezuela et de Colombie, au tournant des années 1818-1820, une colonne espagnole menée par le général Soledad doit rejoindre d'urgence le gros des troupes de la colonie, mené par son vieil ami le général San Martinez, pour conduire ensemble une audacieuse manœuvre contre les rebelles bolivariens.

Lorsqu'au détour d'une marche, le régiment de Soledad aperçoit au loin cinq feux mystérieux, là où aucune activité, aucune force, rebelle ou légitimiste, ne devrait se trouver, un étrange processus s'enclenche, et l'armée Soledad s'enfonce dans la jungle... pour y disparaître.

Dans la première partie du roman, Un emplâtre sur quelques déceptions, les souvenirs épars de Soledad et de San Martinez nous apprendront leur profonde amitié et leur tragique rivalité amoureuse autour de la figure de la noble Maria-Elena del Tresco, tandis que dans la seconde partie, Conversations avec le diable, la découverte par une patrouille, cinq ans plus tard, au détour d'une fondrière, d'une cantine métallique contenant le journal de marche de Soledad, permettra - peut-être - à San Martinez et au lecteur de comprendre ce qui a pu se passer...

Tout nimbé d'une ambiance crépusculaire qu'un Julien Gracq n'aurait évidemment pas reniée, baignant dans de discrètes touches de mystère et de fantastique, que les familiers des Soldats de la mer d'Yves et Ada Rémy reconnaîtront sans doute avec émotion, un grand et étonnant roman pour ébranler, en à peine 160 pages, nos notions de l'amour, de l'amitié, du devoir et du destin. Un vertige de lecteur.

Et Kobo Abé, en exergue : Un jour, quelque part, chacun doit rejoindre son front. L'essentiel, c'est d'en avoir le pressentiment. Il faut avoir le courage d'attendre patiemment qu'on vous appelle à combattre.

San Martinez se sentait las. Le travail quotidien, le devoir de sociabilité lui incombant, qu'il avait jadis considéré comme un passe-temps, un plaisir (ces soirées, ces danses, ces tremplins vers le lit des femmes !) lui étaient devenus indifférents. Il regrettait maintenant d'avoir été trop prudent en amitié, en amour ; il regrettait d'avoir été prudent tout court. Dans la haine aussi, peut-être. Sainte prudence ! Il songeait à Lui, Soledad, le père d'Hamlet. Le père d'Hamlet avait pour lui d'être revenu à sa façon, d'avoir, mort, donné signe de vie. Soledad restait désespérément muet. Il aurait bien pu, ne serait-ce... Et San Martinez, souriant, de mémoire murmurait à ce propos un poème d'Ovide que Soledad aimait particulièrement...