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Le ParK

Le ParK

Le ParK
de Bruce BEGOUT
ed. ALLIA

En 150 pages, un chef d'œuvre glaçant montre l'âme noire de l'industrie du loisir.

Publié en 2010 chez Allia, Le ParK est parfaitement représentatif du superbe et étroit chemin, entre essai et fiction, que pratique Bruce Bégout depuis plusieurs années.

Construit sur une île de tous les fantasmes glaçants (Wells, Bioy Casares, Schoedsack & Pichel, voire Kinji Fukasaku, ne sont pas si loin), œuvre fantasque et néanmoins pensée dans les moindres détails d'un milliardaire russe et de son âme damnée d'architecte aux visées panoptiques, Le ParK matérialise en 150 pages d'une rare densité le nec plus ultra contemporain de l' "entertainment" destiné aux "happy extremely few", et rejoint ici largement les thématiques développées par La Spirale de Laurent Courau sur les divergences désormais essentielles au sein d'une humanité devenue à deux vitesses et demie. Pour les ultra-riches, Le ParK met en scène le concept même de "parc d'attractions", et exprime dans toute sa splendeur glauque la nature fondamentalement concentrationnaire de l' "industrie du loisir", la formidablement nommée.

Merveille de langue désincarnée, précise, technocratique, alliant la précision de ceux dont la mort pourrait être le métier au scrupule apparent du journaliste aux ordres, dans un registre voisin du travail langagier d'un Hugues Jallon, Le ParK en dit infiniment plus long que bien des essais sur ce qui, ayant fini de menacer, est là.

Une lecture peut-être éprouvante dans sa noirceur chirurgicale à la légéreté toute affectée, mais extrêmement salutaire.

En un sens, tous les qualificatifs suivants peuvent à bon droit s'appliquer au ParK : étonnant, horrible, révoltant, merveilleux, capitaliste, totalitaire, impie, bouleversant, cyclopéen, ignoble, américain, utopiste, délirant, mystique, écœurant, éloquent, hypermoderne, inquiétant, impressionnant, vulgaire, nihiliste, stupide, magique, prophétique, extraordinaire, abject, actuel. Mais quels que soient l'idée que l'on se fait de ce lieu, le jugement favorable ou défavorable que l'on émet à son égard, l'impression agréable ou désagréable que provoque aussitôt son évocation, demeure éternellement vrai ce simple état de choses : il existe, et est tel qu'il se présente. Ni plus, ni moins. Il est cependant vain d'escompter que les éclats effervescents de cette architecture imaginaire suggèrent autre chose que de terribles révélations chuchotées à une oreille inquiète par la voix caverneuse d'un être malfaisant. Une fois entreprise, nul ne peut se soustraire à l'épreuve du ParK, et à ses effets perturbateurs sur le long terme. Et tandis que nous essayons de reprendre notre esprit et de le convaincre du caractère somme toute puéril de ces faux cauchemars orchestrés par la main d'un "Entertainer" facétieux, les souvenirs hideux de lectures horrifiques nous reviennent en mémoire et accréditent, sans la moindre hésitation, les premières impressions infâmes. Décidément, l'expérience du ParK ne nous laissera jamais en paix.