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de Mikael LAFONTAN, Eric PESSAN
ed. LES INAPERCUS

Un père et son fils "marchent en forêt", dans une brève fable, inquiétante, mystérieuse et d'une troublante beauté.

Publiée en mai 2012 aux toutes jeunes éditions Les Inaperçus, cette nouvelle d'Éric Pessan, construite autour des superbes photographies de Mikaël Lafontan, nous livre en 35 pages une bien inquiétante fable, résolument inclassable.

Dans la forêt, dont mousses et fougères n'ont au fil des mois bientôt plus de secrets pour eux, un homme et son fils marchent. Ils marchent sans vraiment s'arrêter, surmontant courbatures et blessures, à l'écart des villages à peine devinés ou entrevus, toujours à l'opposé du "N" figurant sur la boussole du père.

Le lecteur ne saura pas la raison de cette épreuve, fuite éperdue ou recherche consciente d'ermites, la figure d'une femme à demi effacée sur une vieille photographie ne pouvant à elle seule dissiper cette brume tenace, mais le climat, quasiment cinématographique (le Boorman de Délivrance n'est pas si loin), créé en si peu de mots par l'auteur, nous entraîne doucement dans la tragédie, celle d'un quotidien bizarre confronté à de l'ordinaire (qui ne connaît le plaisir enfantin de la marche en forêt ?) ayant acquis au passage une stature mythologique... Comme si, par moments, le Petit Poucet était devenu lui-même fils d'un Ogre rêveur et inlassable, pour affronter avec lui une route post-apocalyptique à la McCarthy...

Chaque pas sous les arbres, entouré d'un halo mystérieux, baigné d'une interrogation diffuse, reste ainsi soumis à un fantastique qui refuse de dire son nom. Pour un moment de bonheur terrorisé, sous les futaies.

"À l'orée du village, j'attends. Papa va seul acheter des allumettes, quelques vêtements, de la nourriture, des bougies, une nouvelle lampe de poche. J'attends. Il m'ordonne de me cacher, de ne me faire voir par personne. Il m'ordonne de ne surtout pas m'endormir : on est vulnérable lorsqu'on dort. La vigilance, toujours. Et il prend la route qui mène à l'inconnu. J'attends. À chaque fois, j'ai peur qu'il ne revienne pas."