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Reconquêtes

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de Fabrice PATAUT
ed. PIERRE-GUILLAUME DE ROUX

À Los Angeles, un terrain "en forme d'États-Unis" confronte cinq personnages à leurs mémoires. Magnifique.

Paru en août 2011, le quatrième roman du philosophe du langage Fabrice Pataut intrigue d'abord, puis rapidement, séduit et enchante, laissant en place une curieuse sérénité rêveuse au moment de le refermer.

Cinq personnages à Los Angeles, en 2004, au moment où les forces américaines patinent en Irak, et où les décapitations d'otages occidentaux semblent se multiplier. Une veuve d'un certain âge se retrouve sous les feux de l'actualité lorsque les médias réalisent que la forme de sa propriété reproduit exactement celle des États-Unis, y compris une parcelle distante figurant Porto-Rico et un terrain, en cours d'acquisition, situé exactement où devrait se trouver l'Alaska... Un agent immobilier, scrupuleux et dévoué, chargé de superviser cette acquisition... Son assistante, amour possible qui mûrit doucement au fil des mois... La grand-mère de celle-ci, survivante de la Shoah, achevant paisiblement sa vie à Jaffa / Tel-Aviv... Le propriétaire du terrain restant à acquérir, vieil ami et complice de la veuve, Russe d'origine, artiste et critique avisé...

En quelques semaines de récit, ces cinq protagonistes, deux ou trois de leurs proches, et surtout leurs fantômes personnels (époux décédé, sœur disparue, mère enfuie ou fils emporté jeune par un accident de voiture,...) dessinent une trame serrée de sentiments parfois immensément complexes traités avec simplicité et distance, de bienveillances réciproques et gratuites, mais aussi de secrets pesants et de complexes enfouis, pour aboutir à une sérénité finale digne des conclusions d'un grand film d'aventure... alors que l'on n'a guère quitté ce petit périmètre délimité par les excroissances de cette propriété symbolique.

Tour de force de réflexion et de sentiment autour des anges et des démons de la mémoire, servi par un style d'une rêveuse précision.

Kurzinovski remplit calmement les deux tasses.
«Je l'ai taillé à la main, ce terrain, monsieur Koons. Je l'ai tracé, projeté au crayon ici même, dans la pièce d'à côté, si vous voulez tout savoir, là où je peins. Je l'ai planté de conifères pour que la réalité corresponde à la carte de l'atlas emprunté à la bibliothèque municipale - lettre A, entre "Alabama" et "Arizona". J'ai détourné une rivière qui le traverse aujourd'hui d'est en ouest. Comment vous dire ? Je l'ai désherbé et replanté. J'en ai repris toute la bordure. Petit à petit, au fil des années, en grignotant des parcelles mitoyennes parfois minuscules. De la manière la plus légale qui soit, je vous prie de le croire. Je me suis toujours acquitté de mes impôts fonciers. J'ai toujours été un bon citoyen américain. Quelle que soit la manière dont vous tournez les choses, je l'ai dessiné. Plus qu'un bien immobilier, c'est un portrait de la terre qui m'a recueilli que je vais offrir à Madame Cunningham.»