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Reine Pokou

Reine Pokou

Reine Pokou
de Véronique TADJO
ed. ACTES SUD

Variations imaginées de l’histoire de la fondatrice mythique de la nation baoulé en Côte d’Ivoire.

Ce "concerto pour un sacrifice" (comme le nomme le sous-titre) publié en 2004 chez Actes Sud constitue un intéressant exercice mené par l’Ivoirienne Véronique Tadjo.

Revisitant l’un des mythes fondateurs de l’histoire nationale de la Côte d’Ivoire, celui de la reine Pokou, qui sacrifia son fils en le livrant aux dieux du fleuve, pour que son peuple puisse traverser et échappe à ses poursuivants, fondant ainsi la nation baoulé (de "Ba-ou-li" : l’enfant est mort), Véronique Tadjo explore à la fois le conte "officiel" (en 30 pages) et surtout de possibles alternatives (en 60 pages), spéculations bienvenues sur ce qu’aurait pu faire la reine mythique, en fonction de ses motivations réelles ou supposées, de sa bonté, de son courage, de sa soif de pouvoir, de son machiavélisme…

Variations réussies par une auteur qui se définit elle-même comme une poète avant tout, et dont l’écriture particulière rend bien compte.

"Un jour, Opokou Waré et son armée au grand complet partirent mater une rébellion dans une province reculée. Un chef vassal, refusant de continuer à payer le lourd tribut que le roi lui imposait, profita de son absence pour avancer sur la ville royale en semant terreur et dévastation sur son passage.
La nouvelle d’une menace imminente atteignit le palais.
Qui allait défendre Kumasi ?
Un Conseil d’urgence se réunit afin d’organiser la résistance. Sans se faire remarquer, Pokou s’assit dans un coin pour écouter les vieux dignitaires. Les interventions traduisaient l’affolement général. La reine mère, assurant le pouvoir en l’absence de son fils, suggéra que les quelques armes qui restaient encore dans les caches fussent distribuées aux esclaves, aux femmes et aux enfants qui se sentaient capables de combattre.
En entendant cela, Pokou se leva brusquement et demanda à soumettre une autre proposition. Un notable voulut l’en empêcher, mais la reine mère donna l’ordre de la laisser parler.
La princesse s’exprima ainsi :
"On ne peut pas demander à des innocents qui ne se sont jamais battus de prendre les armes. Ils ne pourront rien faire contre une armée de malfaiteurs.
– Viens-en au fait, que suggères-tu ? lui demanda un haut dignitaire avec irritation.
– Évacuez immédiatement la ville et allez vous cacher dans la forêt environnante après avoir mis le Trône d’or et les insignes de la royauté en sécurité. Mais laissez les coffres du trésor sur place, c’est ce qu’ils viennent chercher.
– Abandonner le trésor !? s’exclama un homme au crâne rasé. Ce serait la ruine du royaume !
– Préférez-vous sauver votre vie ou partir en grande pompe dans la mort ? répliqua Pokou avec une certaine effronterie avant de se rasseoir sans attendre de réponse."

"Le sculpteur pénétra dans la forêt à la recherche d’un arbre dont le bois pourrait traduire la noblesse et l’innocence de l’enfant. Pas un de ces bois durs qui se fendent quand on a fini de les sculpter. Difficiles à vivre. Ni un de ces bois capricieux avec un côté chaud portant chance et un côté froid portant malchance. Non, il voulait un bois tendre et d’une espèce rare.
On lui avait demandé de prendre le temps nécessaire afin de donner à l’enfant la possibilité de se manifester dans l’objet en gestation. La statuette qu’il présenta finalement était sobre et raffinée, taillée directement dans le cœur de l’arbre. Visage pur, corps plein et bien équilibré, peau d’un noir lisse, petites scarifications. Le sculpteur avait réalisé une œuvre exceptionnelle."