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Ta mort sera la mienne

Ta mort sera la mienne

Ta mort sera la mienne
de Fabrice COLIN
ed. SONATINE

Archéologie subtile et enlevée d’un mass murder.

Publié en cette fin mars 2013, le deuxième thriller de Fabrice Colin va beaucoup plus loin et plus fort que le déjà bien réussi Blue Jay Way.

Après l’intrication étourdissante d’un serial killer ambigu dans les milieux rock et ciné de Los Angeles, Fabrice Colin nous décortique maintenant un autre « phénomène social total » caractéristique des Etats-Unis (même s’ils n’en ont pas la stricte exclusivité), à savoir le mass murderer : le carnage causé par le tueur, tout de noir vêtu et casqué, dans un hôtel isolé à la frontière du Colorado et de l’Utah, où une classe de littérature comparée de San Francisco se trouvait en séminaire, rythme sauvagement et méticuleusement l’ensemble du roman.

C’est l’insertion de flashbacks, courts ou longs, en une spirale presque hypnotique qui permet à l’auteur de tracer pas à pas la genèse de ce crime massif et normalement insensé, tandis qu’une mère, présente sur les lieux, fait défiler sa vie et se demande si elle peut et doit survivre, et qu’un père, policier du voisinage, se précipite sur les lieux, forcément trop tard, de toute la puissance des 4 x 4 de sa troupe…

Cette archéologie d’un crime exhume ainsi une secte pseudo-bouddhiste millénariste particulièrement abjecte, avec sa vitrine officielle propre sur elle, amie de la Scientologie, complaisamment drapée à l’abri dans les plis du premier amendement, les traumatismes qu’elle est capable d’occasionner chez ses ex-adeptes, et, en bien pire, chez les enfants de ces adeptes, entièrement « éduqués » par elle, les méandres de la culpabilité de ses « repentis » ou de ceux qui ont « laissé faire », et in fine, l’échec des valeurs communes à contrecarrer le désir d’abîme lorsqu’il a atteint une certaine puissance. Mais elle pointe aussi au passage la culture souterraine des grands gangs américains, pas ceux des banlieues ghettos des minorités visibles, qui font en général l’objet de toutes les attentions médiatiques, mais ceux de la grande confrérie suprématiste blanche, plus discrète, largement aussi violente et infiniment mieux organisée…

Le tout sur un rythme subtilement enlevé, avec en bonus, l’équipe de police de Grand Junction, lancée à la rescousse, entre souvenirs et méditations navajo sur lesquelles planent avec beauté les ombres bienveillantes de Jim Chee et de Joe Leaphorn, de Tony Hillerman et de Percival Everett.

L’un des meilleurs thrillers que j’aie pu lire ces dernières années.