Connexion

Zazen

Zazen

Zazen
de Vanessa VESELKA
ed. LE CHERCHE-MIDI

Un premier roman féroce et drôle face à la question : Comment rester immobile quand on est en feu ?

Publié en 2011 (et traduit en français en 2013 chez Lot 49, au Cherche-Midi, par Anne-Sylvie Homassel), ce premier roman de l'Américaine Vanessa Veselka frappe un grand coup de cymbales qui devrait réveiller le roman de "futur proche" parfois un peu ensommeillé ces temps-ci...

Dans une Amérique subtilement différente de celle que nous connaissons aujourd'hui, minée par deux enlisements guerriers "de basse intensité" outremer, par la désindustrialisation, le chômage et les "petits boulots" permanents, par les bouleversements climatiques inexorables, par ses villes poudrières où la possibilité de la menace terroriste occupe les esprits bien plus sûrement que les bombes elles-mêmes, par son appareil de renseignement et de police croissant chaque jour en importance à défaut de véritable efficacité, Della, une jeune doctorante en paléontologie, fille de deux ex-militants gauchistes endurcis et pas vraiment repentis, survit de jobs occasionnels, toute à une valse-hésitation où elle s'interroge sur son éventuelle intégration à la culture dominante, hybridation d'ultime boboïsme capitaliste et d'écologisme new age ultra-revendicatif, et sur l'opportunité de suivre le mouvement en voie de généralisation, qui entraîne tout un chacun, dès qu'il dispose d'un peu d'argent, à quitter le pays - en cours de lente implosion allant toutefois s'accélérant - pour les cieux plus riants et plus sécurisés d'Amérique Centrale ou d'Asie du Sud-Est.

Jusqu'à ce que, parmi divers quasi-troubles obsessionnels compulsifs qui la hantent, comme la plupart de ses pairs, elle en vienne à étudier minutieusement l'historique des suicides par immolation publique, qu'elle soit taraudée par LA question qui domine l'ensemble du roman : "Comment rester immobile quand on est en feu ?", et qu'à partir de là s'enclenche une incroyable mécanique de complots, de contre-complots, de faux-semblants, de ruses et d'actions, pour au fond, répondre à cette question et savoir si l'existence a toujours un sens... Et dans cette quête, sachez que sa formation de géologue-paléontologue de très haut niveau n'est pas neutre... !

Virtuose et drôle, cruel et ironique, critique sauvage d'une dérive capitaliste potentiellement finale et des illusions et de l'impuissance des "contre-cultures", ce premier roman s'inscrit d'emblée parmi les grands, lorgnant du côté des meilleurs Vonnegut, Ballard, Aldiss ou Womack.

Ce soir-là, j'ai reçu un SMS de Jimmy qui me proposait de la retrouver dans la soirée, vers le fleuve, dans la zone industrielle. Je ne sais pas si l'idée venait d'elle ou si Credence lui avait demandé de garder l'œil sur moi. Bien sûr : un entrepôt plein de hippies citadins et dystopiques, c'est bien plus sûr qu'une cellule capitonnée. Rien de plus sain que le choc mou du zéro contact.
- Allez, disait Jimmy. Tu vas rencontrer du monde. Ça va être bien.

Parce que rencontrer du monde, c'est toujpurs bien.
La Verrerie était une usine de plain-pied coincée entre deux silos à grain ; dans les années quarante, on y produisait de la verrerie d'art. Deux ans plus tôt, pendant les vacances d'été, j'avais fréquenté les lieux. Surtout pour des concerts de noise. C'était tout près du fleuve, là où les routes ne sont parcourues que par les camions des usines. La plupart des vitres étaient cassées ; l'électricité était installée à la va-comme-je-te-pousse : les câbles de cuivre étaient régulièrement facuhés et revendus. Il y avait sur le fleuve, m'avait-on dit, une flottille de mecs drogués à la meth qui allaient la nuit, sur des barques de fortune sous les docks, dépouiller le cuivre des conduites. Je les voyais bien en train de se construire un palais couleur centime dans les collines, avec des labos qui n'arrêtent pas d'exploser et "Guitar Hero" en boucle.