Palabres autour des arts : Le Don Juan qui est en vous
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Merci à l'équipe des Palabres pour la vidéo.
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Publié en 1986, traduit en français en 2009 par Claro chez Grasset, le premier roman du poète indien Vikram Seth s'inscrit sans hésitation parmi ces livres qui résonnent longuement chez le lecteur, bien au-delà de leur propos apparent.
Dans le San Francisco de 1986, où les aspirations matérielles des yuppies déjà presque triomphants se déploient avec pour seules contraintes l'ombre noire des derniers soubresauts de la guerre froide et de ses peurs nucléaires, et celle des inquiétudes écologiques peu à peu croissantes, quelques amis et amies de lycée et d'université se retrouvent, se croisent, se reperdent, échangent et évoluent, une dizaine d'années après leur "entrée sur le marché du travail".
La quête d'identité de chacun et de chacune, sujet par excellence de comédies acides toujours divertissantes mais vaguement banales, est ici transfigurée par une "technique" qui dépasse largement le seul exercice de style. D'une certaine manière, comme l'économiste Frédéric Lordon le fit à propos de la crise bancaire systémique née en 2007-2008, le vers (l'alexandrin recréé avec grand talent par Claro en français) change profondément la nature du récit. Les chassés-croisés amoureux, le choc apparent d'une homosexualité s'exprimant tout à coup, les angoisses carriéristes, les espoirs et les déceptions, les besoins renouvelés - ou brutalement surgis - de sens et d'engagement,... : magnifiés par la rythmique et la scansion, le comique ou l'incident, le presque banal et le trois fois rien révèlent leur puissance tragique.
Un très impressionnant tour de force, et un grand livre.
1.3
John présente bien. Il met des tenues correctes.
Il s'exprime à voix basse et son esprit est sain.
Sa passion du travail est vaguement suspecte.
Un badge avec son nom est pendu à dessein
Autour de son col blanc tel un collier votif.
Il est très bien payé, ménage ses actifs,
N'oublie jamais le terme et court tous les matins,
Ne fume pas de cigarettes ni de joints,
Ou alors rarement, ne va jamais prier
Ni jamais ne s'enivre inconsidérément,
Jardine et lit, de tout, du Bede et du Mann.
(Un substitut, selon certains, à la pensée.)
Ses amis le jugent hiératique et distant.
(Son patron, toutefois, l'apprécie fortement.)
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Paru tout début 2011 chez Inculte, bien joliment présenté par Claro lors de notre toute première soirée Libraire Invité, King County Sheriff (Branches en V.O.) avait été publié en 2000 par Mitch Cullin. La confession déjantée d'un shériff texan, devenu serial killer par souci de responsabilité, gagne une tonalité hallucinée à être exprimée en vers libres.
Qu'est-ce que je vais dire à ma femme ?
Danny chiale sa race,
au moins il ne se débat plus
dans la boue comme une oie.
Petit crétin.
Bon c'est sûr,
je suis un sacré connard
de le traiter comme ça.
Pas comme ça
que c'était censé finir.
Mais je suis le shériff de King County
et mon boulot,
c'est faire respecter la loi,
et cette responsabilité
ne s'arrête pas à ma porte.
Ou encore :
Il traverse une mauvaise passe, chérie.
Mais ça va aller.
Une fois qu'il aura trouvé une copine,
crois-moi,
il se calmera.
La mauvaise passe :
croix gammées griffonnées
à l'encre noire
dans des cahiers à spirale ;
revues douteuses
qui arrivent par le courrier -
Blood and Honour,
Mein Kampf America,
Motherland ;
un garçon muni d'un Ruger 9 mm
qui troue de ses balles
des débris de Placoplâtre
dans un champ
près de la route 24.
Parfait contrepoint de l' American Psycho de Brett Easton Ellis, celui de Mitch Cullin, loin de la finance décérébrante et des marques de luxe aliénantes, nous invite à constater que le sens de l'ordre, de la famille et des valeurs de l'Amérique profonde est tout à fait à même de favoriser le développement de pathologies similaires... Avec un humour froid qui provoque le sourire tout au long de ces 135 pages versifiées...
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Publié en 1995, le premier roman d'Éric Faye était le développement d'une nouvelle parue trois ans plus tôt dans la revue Le Serpent à Plumes (que l'on continuera longtemps à regretter...).
Lors de la guerre d'indépendance du Venezuela et de Colombie, au tournant des années 1818-1820, une colonne espagnole menée par le général Soledad doit rejoindre d'urgence le gros des troupes de la colonie, mené par son vieil ami le général San Martinez, pour conduire ensemble une audacieuse manœuvre contre les rebelles bolivariens.
Lorsqu'au détour d'une marche, le régiment de Soledad aperçoit au loin cinq feux mystérieux, là où aucune activité, aucune force, rebelle ou légitimiste, ne devrait se trouver, un étrange processus s'enclenche, et l'armée Soledad s'enfonce dans la jungle... pour y disparaître.
Dans la première partie du roman, Un emplâtre sur quelques déceptions, les souvenirs épars de Soledad et de San Martinez nous apprendront leur profonde amitié et leur tragique rivalité amoureuse autour de la figure de la noble Maria-Elena del Tresco, tandis que dans la seconde partie, Conversations avec le diable, la découverte par une patrouille, cinq ans plus tard, au détour d'une fondrière, d'une cantine métallique contenant le journal de marche de Soledad, permettra - peut-être - à San Martinez et au lecteur de comprendre ce qui a pu se passer...
Tout nimbé d'une ambiance crépusculaire qu'un Julien Gracq n'aurait évidemment pas reniée, baignant dans de discrètes touches de mystère et de fantastique, que les familiers des Soldats de la mer d'Yves et Ada Rémy reconnaîtront sans doute avec émotion, un grand et étonnant roman pour ébranler, en à peine 160 pages, nos notions de l'amour, de l'amitié, du devoir et du destin. Un vertige de lecteur.
Et Kobo Abé, en exergue : Un jour, quelque part, chacun doit rejoindre son front. L'essentiel, c'est d'en avoir le pressentiment. Il faut avoir le courage d'attendre patiemment qu'on vous appelle à combattre.
San Martinez se sentait las. Le travail quotidien, le devoir de sociabilité lui incombant, qu'il avait jadis considéré comme un passe-temps, un plaisir (ces soirées, ces danses, ces tremplins vers le lit des femmes !) lui étaient devenus indifférents. Il regrettait maintenant d'avoir été trop prudent en amitié, en amour ; il regrettait d'avoir été prudent tout court. Dans la haine aussi, peut-être. Sainte prudence ! Il songeait à Lui, Soledad, le père d'Hamlet. Le père d'Hamlet avait pour lui d'être revenu à sa façon, d'avoir, mort, donné signe de vie. Soledad restait désespérément muet. Il aurait bien pu, ne serait-ce... Et San Martinez, souriant, de mémoire murmurait à ce propos un poème d'Ovide que Soledad aimait particulièrement...
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Publié en 2003, traduit en 2007 par Martine Rémon chez Quidam Editeur, le neuvième roman de l'ex-Est-Allemand Reinhard Jirgl est aussi son premier devenu disponible en français.
Très réputé outre-Rhin pour ses redoutables innovations formelles et pour sa détermination sans faille dans le fouaillement des zones sombres de l'histoire contemporaine allemande, Jirgl suit dans Les inachevés le destin d'une famille expulsée des Sudètes en 1945, d'abord réfugiée, de trains bondés innommables en charrettes à bras épuisantes, avant de se "réimplanter" - si l'on ose dire, à la lecture - dans une campagne puis une petite ville de l'Allemagne communiste : une grand-mère, ses deux filles dans la force de l'âge au moment de l'exode, une petite-fille délurée et enfin l'enfant de celle-ci qui, tardivement révélé comme narrateur, libraire hospitalisé écrivant depuis sont lit, peut naturellement faire figure d'un double pas nécessairement totalement imaginaire de l'écrivain.
Sublime noirceur : l'auteur explore bien, comme il l'a parfois confessé, de nouvelles facettes de ce qui fait de l'homme un loup pour l'homme, et la subtilité de son écriture est à la hauteur nécessaire des ambiguïtés morales de ses "leçons de choses"... Réfugiés jadis oppresseurs inconscients, renvoyés à d'abjectes réalités, auxquelles ils se plient avec une morbide complaisance, victimes complices objectives de leurs bourreaux, inscriptions sociales qui ne peuvent être dépassées ou déplacées que dans le temps long, voire très long, lorsqu'elles le sont, innombrables ironies du "sort" (ici habillage commode et résigné de volontés trop souvent absentes)... : ce faisceau complexe de nécessités et d'écrasements est servi par une langue incroyable, prouesse d'écriture comme de traduction, difficile à rendre à l'oral avec ses points d'exclamation servant de marqueurs liminaires à certains mots, ses expressions toutes faites suivies à la trace de leurs nombreux traits d'union, ses mots trafiqués comme autant de valises prêtes à répandre leurs contenus malsains si l'on n'y prend garde, marquant à chaque instant à quel point le malheur, l'oppression et la trace sociale peuvent être intériorisées comme la plus efficace de toutes les prisons, ou reflétant au fond bien fidèlement la pensée devenue ou restée si rudimentaire de leurs utilisateurs... Appliquée au "réfugié" du monde, cette volonté de se "couler" à tout prix dans ce que l'acteur croit être son moule n'est ainsi pas à ce point éloignée du propos d'un Philippe Annocque dans son Liquide, chez le même éditeur.
En prime, une courte mais intense préface de Martine Rémon qui souligne la parenté reconnue de Jirgl avec Arno Schmidt.
Précipitez-vous, mais sachez que vous ne ressortirez sans doute pas totalement indemnes de ce voyage, même une fois sorti de l'époque de durant-le-convoi.
La viande est devenue un mot é: tout ce qui est imprononçable *-Ersatz. Le brame-des-hauts-parleurs : mots d'ordre ferbeuglants & grabuge des chœurs - des banderoles claquant dans le vent au-dessus des rues, mêlant les rafales humides d'une fin d'octobre aux relents de chou-crèvelafaim venus par les fenêtres des cuisines pour fouetter les visages, blêmes ceux-là & vagues, apparemment sans jeunesse - Vous savez bien : la !guerre - des pas oscillant le long du trottoir sous des manteaux de feutre, de porte-en-porte, la ville rétrécie aux coupons des cartes de rationnement, & toujours des queues interminables, pour le pain le lait le beurre la farine l'huile & le sucre, des heures-durant la pelote des gens comme s'il s'agissait sans cesse d'1&même famille. Et parce que la médaille & l'homme ont 2 faces - LE SED ME PLUME, LE SED TE PLUME, LE SED NOUS PLUME ! - c'est du donnant donnant : la main gauche sur le comptoir du magasin / la main droite sous le comptoir : pays madrécupide ; nationalité : pick-charbon.
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Ian MONK, Plouktown
Thomas BERNHARD, Maîtres anciens
David MITCHELL, Cartographie des nuages (Cloud Atlas)
Wallace STEGNER, Vue cavalière
Julio CORTAZAR, Le livre de Manuel
Reinhard JIRGL, Rénégat - Roman du temps nerveux
Denis JOHNSON, Un pendu ressuscité
Jean-Bernard POUY, Spinoza encule Hegel
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