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La persistance du froid

La Persistance du froid

La Persistance du froid
de Denis DECOURCHELLE
ed. QUIDAM

L'exceptionnel roman de la vie comme un jeu de mikado alliant aléatoire et vrais choix.

Publié en 2010 chez Quidam, ce premier roman de Denis Decourchelle est une nouvelle preuve de la capacité de cet éditeur à dénicher du talent, y compris dans le champ francophone, à l'instar de, pour ne citer qu'eux, Philippe Annocque, Romain Verger ou Catherine Ysmal.

Présenté avec brio et enthousiasme par Philippe Annocque lors de la soirée dédiée à Quidam à la librairie Charybde, le 21 mars dernier, ce roman est celui, comme le confie l'auteur au détour indiciel de quelques lignes, du jeu de mikado de la vie.

Leurs destins enchevêtrés comme les baguettes ayant échappé au poing du joueur pour devenir d'abord la proie du hasard, retrouvant des semblants d'ordre et de sens lorsque la main parvient, par habileté ou par chance, à les extraire une à une du fatras exposé à tout moment à l'effondrement sans remède, un couple de mathématiciens juifs polonais, réfugiés en France en 1940, tentant l'embarquement à la dernière minute à Bordeaux, en pleine débâcle, seule leur petite fille parvenant alors à rejoindre le navire menant aux États-Unis, où elle deviendra, bien plus tard, une grande actrice, respectée pour son charme, son intelligence et sa bonté, tandis que ses parents, sauvés pourtant par un couple de commerçants charentais, résistants de la première heure, connaîtront un sort plus contrasté...

On trouvera aussi là, dans ces plis et replis de la vie, un batteur de jazz, un cosmonaute, un marin, un universitaire spécialiste des études de genre, un agent secret de l'O.S.S., et bien d'autres figures parfois juste aperçues, qui toutes, pourtant, aident l'auteur à nous démontrer qu'au-delà du hasard, du malheur, ou de la tristesse des rendez-vous ratés, la volonté et la bienveillance - justement ! - de chacun peuvent compter, toujours, écrivant ainsi, avec un égal talent, au fil des pages de ce froid persistant, mais peut-être donc mieux supporté, un parfait contrepoint au sombre roman de Jonathan Littell.

Un livre magnifique à découvrir sans tarder, et un grand merci à Philippe Annocque pour cette révélation.

Ce lundi, jour de fermeture de son commerce, Luce Boyer, poissonnière du Pavillon de la Marée et voisine de la villa, aperçoit depuis son jardin une jeune femme inconnue, assise sur les marches du perron entouré d'une fausse rocaille de ciment, face à une fillette debout. Elle peut entendre leur conversation couler dans un français aux tonalités montantes - un chaton qui joue sous les draps -, discutant de l'exacte signification du mot Astarté, déesse ancienne ou véritable étoile. Et l'attention qu'elles se portent, leur naturel à savourer la connaissance, l'atmosphère finement électrique, douce et fluide, qui semble se produire dans le contact de l'une à l'autre, l'émeuvent brutalement. Quelque chose extrayait cette mère et son enfant de ce décor stérilisé jusqu'à l'absurde où elles devenaient deux silhouettes de carton coloré reposées devant l'image d'une villa qui, avec son toit en chapeau d'ardoise stricte et ses longues fenêtres étroites sous des dentelles de bois, n'incarnait plus l'insouciante dilapidation des beaux jours d'été, mais le mépris coquet de l'égoïsme. Wanda et la fillette crurent que la femme qui s'approchait était madame Lamblin et, lorsqu'elles comprirent qu'il n'en était rien, le désarroi assombrit leurs yeux gris. Ceux de la mère avaient des passages foncés semblables aux cieux d'équinoxe, ce qui s'y rencontre de promesse et de possible désastre ; ceux de la fillette, plus clairs, donnaient l'inquiétante sensation de filtrer ce qu'ils regardaient, face à quoi on pouvait se croire arrêté par sa propre grossièreté ou emporté et dissous.