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Solo d'un revenant

Solo d'un revenant

Solo d'un revenant
de Kossi EFOUI
ed. SEUIL

Sur la réconciliation après une guerre civile en Afrique, une écriture précise, hilarante et riche de symbolisme.

Le dernier roman de Kossi Efoui, publié en 2008 et couronné par les prestigieux prix Tropiques et Ahmadou Kourouma, est une réussite d'écriture précise, hilarante et riche de symbolisme à la fois.

Un pays fictif sort tout juste d’une terrible guerre civile de dix ans, durant laquelle de terribles massacres ont eu lieu. Un exilé, parti juste avant le déclenchement de l'horreur, rentre au pays, en pleine « cure de réconciliation », et veut absolument retrouver les deux camarades avec qui il animait une troupe de théâtre amateur avant la guerre, sans que le lecteur ne puisse cerner ses motivations avec précision, tandis qu'il parcourt le pays tentant de se remettre des bouleversements…

« L’agent a rangé le document. La main libérée lisse frénétiquement le col de l’uniforme. Un costume généreusement offert à des hommes revenus de basses besognes dans le maquis : hier encore coupeurs de routes et de gorges avec des besaces de chasseurs de têtes accrochées au cou, jusqu’à ce que la paix et la faim les ramènent des broussailles pour qu’ils acceptent d’échanger leurs quincailleries et leurs accoutrements d’épouvantail contre la promesse d’être amnistiés, repêchés, intégrés dans le même uniforme local, dans le même creuset au Nouveau Camp unifié qui porte le nom de Mandela, pour leur apprendre, avec le soutien des instructeurs belges, à devenir « soldats de bonne volonté », « gardiens de la politesse », aptes à tendre le sauf-conduit avec le sourire, « soldats de proximité » sachant patrouiller avec le Bonjour, le Bonsoir, Comment ça va le quartier.
Il faut imaginer leur fierté quand ils arrivent le matin pour recevoir les instructions : la colonne impeccable en uniforme local, l’instructeur belge prodiguant des soins pédagogiques, rectifiant la tenue des fusils, et le garde-à-vous, mettant en scène la situation simulée de patrouille de proximité :
- J’ai dit au repos, le fusil, au repos. Je n’ai pas dit aux aguets dans les bananiers. Et on apprend vite le Bonjour, le sourire. Comment ça va le quartier. Nous sommes là pour vous aider à demeurer libres.
Le chœur d’anciens coupeurs de routes et de gorges à l’unisson :
- Bonjour, comment ça va le quartier ? Nous sommes là pour vous aider à demeurer...
- Affable, affable, j’ai dit quoi ?
Le chœur d’anciens coupeurs de routes et de gorges à l’unisson :
- Affable, chef !
- J’ai dit quoi ?
- Affable, chef !
- L’autre, il va croire que tu vas lui crever sa poule avec ta baïonnette, là. J’ai dit quoi ?
Le chœur d’anciens coupeurs de routes et de gorges à l’unisson :
- Affable, chef !
La bande d’anciens chasseurs de têtes et coupeurs d’organes imitant bravement le sourire du coach belge, imitant le sourire comme il faut pour demander les papiers et les rendre, comme le veut la coutume dans les sociétés libres qu’on appelait autrefois civilisées.
Désormais, quand la glace est dure à briser, éviter le coup de crosse et préférer l’efficacité du proverbe autochtone qui fait dépannage pour dérider l’ambiance. L’instructeur belge sortant la sagesse africaine de son Guide des sagesses du monde, éditions Marabout : « On peut critiquer la morsure du chien, mais on ne peut rien contre la blancheur de ses crocs. » On répète. Encore une fois. Encore une fois. »