Connexion

Actualités

Inflorenza

Une immense forêt a recouvert l'Europe. Paysage post-apocalyptique ou mythique, peuplé comme les contes de Grimm de bêtes sauvages, de brigands, de fantômes...

Par où Millevaux a commencé ? Quand les choses se sont accumulées en douce. On en a perdu le contrôle. Puis le monde s'est refermé sur nous.

Dans un monde où la société et la technologie se sont effondrées, les humains subissent quatre fléaux qui caractérisent l'enfer forestier de Millevaux : le Syndrome de l'oubli qui efface tout souvenir au-delà de trois ans, l'Emprise qui transforme les hommes et les bêtes en bêtes ou en hommes, l'Egrégore qui donne forme et vie aux passions humaines, et les Horlas qui naissent de l'égrégore et des angoisses intimes.

Le plus dur, c'est pas la forêt, les dangers ou les horlas. Le plus dur, c'est de voir que la mort est partout et qu'il est vain d'aimer.

Dans cet environnement flamboyant et torturé, Inflorenza nous invite à jouer des héros, des salauds ou des martyrs, des personnages dont les parcours connaîtront des torsions violentes et les trajectoires des virages inattendus. Western crépusculaire, road movie post-apocalyptique, cape et d'épée, post-exotisme ou pèlerinages tragiques, le jeu permet une très belle variation d'univers, de genres et d'histoires autour des motifs de la forêt, de la transformation, de la poésie et du cauchemar.

Il s'envole avec un mouvement douloureux alors que l'arbre de vie lui pousse dans le dos dans une vaste extase. L'ange aux ailes en branche.

C'est en outre une impressionnante boîte à outils pour les joueurs qui veulent s'emparer de leur partie, proposer leur univers, jouer avec des variations de règles… tout en s'appuyant sur un flot d'inspirations et un système extrêmement intéressant qui permet de vriller des destins entre les mains des joueurs.

Le jour de Lazare, nous reviendrons, purs et innocents. Lavés de nos péchés, drapés de chair putride, nous tituberons sur la Terre Promise.

Forestier, terrible et envoûtant. A jouer. Rejouer. Rerejouer. Et jouer encore.

Roman dormant

Subtil, joueur et décapant, un incroyable anti-bréviaire d’oniromancie pour temps difficiles.

xPublié en avril 2014 au Quartanier ce roman du poète explorateur Antoine Brea, son cinquième texte de fiction chez cet éditeur, se jette avec une fougue malicieuse dans une interprétation « islamique » des rêves qui pourrait bien constituer un chapitre inédit d’un certain post-exotisme volodinien particulièrement acéré, sous les figues et le miel.

Imam très renommé pour sa science de l’interprétation des rêves, ayant vécu aux VIIe et VIIIe siècles de l’ère chrétienne (entre 34 et 110 de l’Hégire), Muhammad Ibn Sîrîn (Mohamed Ibn Sirine pour le wikipedia français), surgit « par une chaude après-midi de l’été 2009 » dans le songe de Mahmoud, boucher et imam à Belleville, pour lui dicter ce nouveau traité d’oniromancie qu’est « Roman Dormant », devant être ainsi intitulé « car il est d’or mais par endroits il ment ».

Il y a le rêveur il y a le rêve et il y a ces bêtes qu’il doit nourrir et caresser. Le rêve est plein de bêtes dont il faut prendre soin. En rêve cinq bêtes seulement sont immorales. Évite les corbeaux-mâles les scorpions-à-deux-pointes les couleuvres-faux-corail les chevals-cornus et les chiens-en-nage. Ne rêve pas à ces bêtes. Ne donne pas à ces bêtes le rêve en pâture. N’interprète pas les rêves secoués de reniflements de telles bêtes. En rêve le rêveur est puissant mais il est affaibli. En rêve le rêveur tremble comme un main. En rêve on peut mourir si l’on surprend les bêtes que j’ai dites accrochées aux rideaux. Bêtes qui feraient voir le dessin du Visage de Dieu.

Convoquant théologie revisitée et décapante, fantastique peu avare en bestiaires d’animaux fabuleux, débats éthiques de haute tenue, ou encore dilemmes mesquins de la vie quotidienne, « Roman dormant » s’immisce dans toutes les failles de l’humain, tel qu’il apparaît, nu ou fort mal habillé, au cœur de la nuit du songe. Fouillant situations concrètes et fantasmes avérés d’un fer souvent rougi au feu et néanmoins toujours joueur, le texte interprète, guérit, guide et punit en un tourbillon incantatoire qui oscille à haute fréquence, développant aussi bien une mécanique d’injonction et de salut dans l’échec comme en écho aux « Slogans » de Maria Soudaïeva, qu’une mélopée récitative de sourates soufies impitoyablement trafiquées au kérosène du contemporain – qui, comme on le sait avec Vanessa Veselka et Claro, ne permet pas toujours de rester immobile quand on est en feu.

On raconte que qui voit Dieu en fureur tomber d’un ciel élevé ne passera pas la nuit. Qui voit Dieu sur un mur ou sur une montagne se trompe d’animal. La fureur est forcément tournée contre lui. Cela Dieu l’a écrit dans le Livre des Colères. Qui prend Dieu pour un rapace perché sur une potence il lui reste peu de temps. Il mourra pâle et amaigri. Dieu déteste que l’on s’abuse sur Ses natures divine ou bestiale. Qui prend Dieu pour un charognard effondré du ciel qui s’effrite au sol s’expose à la fureur de Dieu. Cela indique qu’il sera mutilé. Cela indique l’apparition de maladies dans l’endroit où il passe. Dieu est une bête du ciel a cou abîmé mais coriace. Qui ne se laisse pas tuer. C’est une bête au cou coulé de sang comme un fromage. Qui rend colère pour colère. Nuit pour nuit. Hurlement pour hurlement.

Jouant à merveille d’une codification imaginaire qui sait emprunter chaque fois que nécessaire aux branches idoines de l’Islam historique, aux bréviaires borgésiens, aux correspondances lexicales pouvant surgir du tressautement des monothéismes, aux contes et aux fables d’un Orient arpenté ou rêvé, « Roman dormant » crée un authentique et paradoxal corridor de choc à la Samuel Fuller, inventant à chaque paragraphe une poésie ad hoc dont la langue subtile, informée et irrévérencieuse en diable, s’immisce dans la prescription irrationnelle toujours à l’œuvre – on serait tenté de se dire : « plus que jamais à l’œuvre » -, et démonte en riant sous cape les mécanismes moyenâgeux qui continuent à opérer en chacun de nous, lectrices et lecteurs plus en mal de directions de conscience que nous ne souhaiterions peut-être nous l’avouer.

Il y a aussi celui qui voit en rêve des anges à table qui lui tendent un plateau de fromages. Celui-là doit prendre garde. Un choureur pourrait tenter de rentrer chez lui. Celui-là devrait s’efforcer de conjurer le sort. La science des rêves lui conseille de coucher avec une arme sous l’oreiller. La science des rêves lui conseille de garder la nuit près de l’oreille comme un couteau El Baraka orné d’une croix d’Agadès comme on peut en acheter sur les marchés aux trucideurs de chèvres. Avec un tel talisman coupe-rasoir ça peut marcher. On soigne le couteau par le couteau.

En une poésie décapante, songeuse et habilement farceuse, Antoine Brea nous offre ainsi, mine de rien, un magnifique bréviaire pour temps de doute, et une somptueuse amulette à repousser le formatage de la pensée et de l’action.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80