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Festival de littérature ibéro-américaine : les conversations fictives

Un jeu avec une seule règle : un écrivain répond sur scène aux questions qu’il a lui-même posées aux personnages de ses œuvres.

Adriana Lisboa (Brésil), Lidia Jorge (Portugal), Rodrigo Fresan (Argentine), Ricardo Menéndez Salmón (Espagne), João Gilberto Noll (Brésil), Tomás González (Colombie), Valter Hugo Mãe (Portugal),Héctor Abad Faciolince (Colombie) et Edgardo Cozarinsky (Argentine) se prêteront au jeu des conversations fictives dans divers lieux de Paris et d'Ile de France.

Une belle occasion de rencontrer de grands auteurs contemporains dans un exercice original et vivant.

La première rencontre a lieu ce soir, mardi 24 mars, à La Commune d'Aubervillers, avec Adriana Lisboa.

 

Le programme complet est à retrouver sur le site officiel.

La bombe

«Je m’appelle Rudolph Schnaubelt. C’est moi qui ait lancé la bombe qui tua huit policiers et en blessa soixante à Chicago, en 1886.»

La bombe, premier roman de l’écrivain et journaliste américain d’origine irlandaise Frank Harris, paru en 1908 et traduit en 2015 aux éditions la dernière goutte par Anne-Sylvie Homassel, raconte de manière simple et vivace la lutte pour la survie des nouveaux immigrants aux Etats-Unis, l’ostracisme dont ils sont frappés, l’exploitation et les conditions de travail souvent très dangereuses, le désir d’égalité et les luttes pour une protection sociale, culminant autour des événements du 4 mai 1886 à Haymarket Square, apogée de la lutte pour la journée de travail huit heures, à l’origine de la fête des travailleurs du 1er mai.

Présenté par Frank Harris comme le lanceur de la bombe à Haymarket Square, Rudolph Schnaubelt témoigne des événements alors qu’il a réussi à s’enfuir des Etats-Unis et se meurt d’une phtisie en Allemagne.
Originaire des environs de Munich, ambitieux et idéaliste, Rudolph Schnaubelt a sombré dans la misère malgré tous ses efforts pour apprendre l’anglais et trouver du travail pendant son premier hiver à New-York, alors qu'il venait de débarquer aux Etats-Unis plein d'espoir.

«J'avais pour moi la jeunesse et l'orgueil, de même que l'absence de tout vice coûteux : si tel n'avait pas été le cas, je n'aurais pas survécu à cet amer purgatoire. Plus d'une fois, j'arpentai les rues jusqu'à l'aube, hébété, abruti par le froid et la faim ; plus d'une fois, la bonté d'une femme ou d'un ouvrier me ramena à la vie et à l'espérance. Seules les pauvres aident les pauvres. Je suis descendu dans les bas-fonds et je n'en ai pas rapporté certitude plus ferme que celle-là. On n'apprend pas grand-chose en enfer, hormis la haine : et le chômeur étranger est, à New York, dans le pire enfer que l'homme puisse connaître.»

Son engagement pour plus d’égalité, qui trouve ses racines dans la lecture de Heine et dans les souffrances de ce premier hiver, prend une tournure plus politique bientôt irréversible avec ses rencontres à Chicago avec des militants politiques et syndicalistes, et en particulier le flamboyant militant anarchiste Louis Lingg, d’origine allemande comme lui.

«Je compris ces deux choses en même temps : mes expériences d’émigrant avaient fait de moi un homme ; et mes douze ou quinze mois d’efforts souvent vains à me procurer du travail m’avaient transformé en réformateur, si ce n’est encore en rebelle.»

Dans cette œuvre de Frank Harris (1855-1931), qui suivit les événements depuis l’Angleterre avant d’aller enquêter lui-même à Chicago, témoignage et fiction sont indémêlables. La peinture de cette époque, du sort des travailleurs immigrés surexploités et sous-payés, du développement de ce qui aboutit à une explosion sociale, et enfin les portraits des accusés de Haymarket, en particulier August Spies, Albert Parsons et surtout Louis Lingg sont saisissants de réalité et d’intensité.

Passionnant de bout en bout, La bombe est un roman d’une actualité impressionnante, sur la stigmatisation des travailleurs immigrés, la partialité des journaux, toujours du côté du pouvoir, leurs prises de positions racoleuses qui incitent à la peur et attisent le scandale, et sur l’oppression et le cynisme sans limites qui peuvent conduire des hommes farouchement habités par leur idéal à la violence.

«Et puis, comme ceux qui ont semé le vent, nous finîmes par récolter l’ouragan. Il y avait eu une accalmie ; la tempête, pour ainsi dire, avait repris son souffle avant de s’emporter en un dernier effort. Certains prétendent avoir décelé dans cette horrible histoire un crescendo constant. Nous qui vivions dans l’œil du cyclone ne le remarquâmes pas, peut-être parce que nous avions d’autres choses, plus importantes, à faire et à penser. Comprenez-vous la situation ? D’un côté, les Américains avides et intolérants, qui s’accommodaient tout à fait de leur société d’escroquerie concurrentielle, où la norme était : vole qui tu peux ; de l’autre, des foules de travailleurs étrangers, la tête farcie d’idées de justice, de droit, d’équité et le ventre plus ou moins vide.»

Or noir

Mars 1973, le jeune commissaire Daquin débarque à Marseille en pleine succession sanglante pour le contrôle du milieu marseillais entre Zampa et Francis le Belge, après la chute des frères Guérini et le démantèlement de la French Connection, la filière de l’héroïne qui approvisionnait les Etats-Unis depuis la France, en particulier depuis la cité phocéenne.

Lorsque Maxime Pieri, un ancien lieutenant des Guérini devenu un homme d’affaires en vue de Marseille, est abattu par un tireur d’élite en sortant d’un casino de Nice, l’enquête est confiée à Daquin et à sa nouvelle équipe. Pieri était accompagné ce soir-là d’Emily Frickx, petite-fille d’un magnat des mines d’Afrique du Sud mariée à un important trader de minerais, et qui reste introuvable.

«Pieri, un personnage. Massif, complexe, comme je les aime. Je ne le tiens pas encore, mais je m’approche. Ne pas aller trop vite. Garder l’esprit ouvert à toutes les surprises, il y en aura encore.»

Alors que des indices flagrants semblent  valider la thèse du règlement de comptes dans la guerre de succession entre clans marseillais, Daquin et son équipe, soumis à des intimidations multiples sur le déroulement de leurs investigations et les mœurs de ce commissaire hors normes, démêlent peu à peu les fils d’une enquête qui ressemble de plus en plus à un labyrinthe impliquant le milieu marseillais, le SAC, des services secrets français en pleine restructuration, au moment où la libéralisation du commerce du pétrole fait naître des appétits démesurés pour de nouvelles formes de contrebande.

«Daquin quitte l’Évêché, direction la gare Saint-Charles et l’agence Eurauto. A pied, pour se donner du temps pour respirer. Il traverse le Panier, le vieux Marseille. Ruelles étroites, entre de hautes façades rongées par la pauvreté que la perspective resserre sur les passants comme les parois d’un étau. Très haut, très loin, une mince bande de ciel. Un quartier replié sur son folklore et ses réseaux mafieux. Pieri-Simon, un nœud d’embrouilles. Simon, l’ombre d’un inconnu qui semble prospérer dans les officines. Pieri, une présence écrasante, mais un personnage dont il ne sait toujours rien. Le Santa Lucia, une promesse d’orage. Un ou plusieurs tireurs d’élite dans la nature. Le couple intrigant que forment Emily et son cousin. Frickx, le grand absent. Et ce sentiment oppressant, sans doute lié à la configuration du quartier, que le pire est à venir, et que l’étau des murs lépreux des rues du Panier va finir par le broyer.»

Remarquablement documenté et efficace, entremêlant trafics et coups tordus de toutes natures et origines, "Or noir" éclaire un moment fondamental de basculement vers un nouveau monde, et le cynisme et les ambitions sans limites qui vont naître de la libéralisation du commerce du pétrole et de l’économie.

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