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Actualités

Libraire du mois : Pierre Jourde (avril 2013)

Marcel PROUST, À la recherche du temps perdu

RABELAIS, Pantagruel

Éric CHEVILLARD, L'auteur et moi

Henry JAMES, La bête dans la jungle

James Lee BURKE, Jolie Blon's bounce

W.G. SEBALD, Austerlitz

Pierre MICHON, La grande Beune

Russell HOBAN, Énig marcheur

Numéro d'écrou 362573

L'amitié pudique entre deux sans-papiers jusqu'au suicide en prison de l'un d'eux. Juste magnifique.

J'ai reçu comme un véritable et bénéfique choc ce travail du romancier Arno Bertina et de la photographe Anissa Michalon, publié en avril 2013 aux jolies éditions du Bec en l'air.

S'appuyant sur un gros travail de terrain autour d'un authentique "fait divers", comme le mentionnent désormais à peine les journaux aux ordres, Numéro d'écrou 362573 nous raconte, par la voix belle, curieuse et subtilement désenchantée du sans-papiers malien Idriss, une aussi superbe qu'improbable amitié avec l'Algérien Ahmed, rencontré au hasard de longues pérégrinations pédestres en banlieue, indispensables à qui ne peut affronter les risques permanents de contrôle, de rétention et de reconduite à la frontière liés aux transports en commun. Amitié nourrie de la digestion presque tranquille d'innombrables malheurs quotidiens, du sentiment d'étouffement et de désespoir qui les saisit parfois, des rencontres avec de bien belles personnes, aux limites de la marginalité (le rocker dur-à-cuire Raymond et son coeur d'or, tout particulièrement), le perpétuel déséquilibre intime entre le "bled" (publiquement enjolivé chez Ahmed, lucidement au bord du désaveu chez Idriss) et la rue parisienne, l'écart infranchissable entre la survie et la vie. Jusqu'au moment où, cédant à cette vague obscure jusque là refoulée, Ahmed craque et finisse incarcéré... avant de se suicider au bout de deux ans de prison en attente d'un jugement... Le récit est subtilement rythmé par le monologue intérieur d'un organiste, exécutant des oeuvres de commande lors de la messe d'enterrement d'un ministre, bouillonnant de rage contenue en pensant à la mort de son voisin Ahmed, qu'il vient d'apprendre.

Les photographies d'Anissa Michalon qui illustrent ces 75 pages d'une grande densité poétique créent le contrepoint parfait, images simples d'ici ou de là-bas, images qui montrent peut-être encore mieux que les mots attribués à Idriss ou à Ahmed l'intense pudeur, le formidable refoulement feignant le plus possible une certaine joie de vivre, le risque intime de la chute, qui sont le lot de ces sans-papiers, images magnifiées par la complicité et l'empathie qu'Arno Bertina a visiblement su développer avec ces réalités africaines.

Magnifique et bouleversante, toute en retenue et sans effets spéciaux indécents, une lecture à recommander absolument, tant au plan esthétique qu'au plan socio-politique.

(C'est Raymond qui disait cela souvent : "à la mode d'Ahmed". Du jour où il m'a expliqué cette expression je l'ai beaucoup aimée. J'ai cru pouvoir la rapporter, mais Ahmed est devenu sombre : peut-être Raymond se moquait-il de lui... J'avais l'impression, moi, que c'était la marque des amis, ces détails qui font des surnoms - un truc qui enveloppait l'amitié.)

 

Liquide

Rarement ce que "se conformer au lieu de vivre" signifie n'a été aussi bien écrit.

Publié en 2009 chez Quidam Éditeur, le quatrième texte de Philippe Annocque a toutes les chances de remuer en beauté, en chacune et chacun, un terrible examen de conscience, toujours plus ou moins occulté, précisément : se conformer, est-ce vivre ?

La quatrième de couverture le dit fort justement, et mérite d'être citée : Liquide est celui qui ne s'est jamais vu rien faire d'autre que de bien remplir comme des récipients les rôles successifs exposés par la vie. Jusqu'à ce qu'enfin celle-ci déborde, dans le flux d'un récit sans personne, puis s'asséchant laisse apparaître le secret toujours tu, toujours su.

Formidable travail de retour sur soi, au moment où - enfin - les sentiers se mettent à bifurquer, un flot emporte le narrateur, étape par étape, liées par des enjambements de fluides : méditations cruciales au bord du fleuve, dont le courant sale appellera successivement la flaque de pluie, le lait du biberon, la fontaine tarie du Luxembourg, le sang et le pus de plaies jamais refermées, les eaux perdues d'un accouchement, la sueur d'un torse, le plâtre et la confiture pas encore solides, la pluie leurrant les escargots, la promesse d'un nuage, le fleuve de la mémoire même, la chasse d'eau réelle ou métaphorique, les larmes, le torrent de montagne vacancière, les salives mêlées des baisers, le verre d'eau boisson de grossesse, le plan d'eau artificiel de la ville nouvelle, le thé mondain dans la tasse en porcelaine matrilinéaire, la pluie ruisselant sur le chemin de la maternité, l'humidité débordant de la couche du premier-né, le sperme répandu bien entendu, la pluie à nouveau sur Cholet, le bassin d'agrément où filent d'enfantins voiliers, la mer bretonne succèdant à la Normandie abandonnée et vendue, la vague ludique sur la plage obligatoire, pour enfin se boucler au bord de ce même fleuve générateur d'introspection, qui n'est plus tout à fait le même, sans être vraiment différent.

Impressionnant de justesse et de finesse, ce bilan de demi-vie, tout en poésie faussement désenchantée, établit vigoureusement le constat du prix réel à payer lorsque, de jardin indispensable en maison de campagne souhaitée, de nouvelle voiture en thé "amical", de job nécessaire en statut idoine, l'affirmation de désirs conformes hâtivement reconnus comme partagés tient lieu de définition de l'amour et de la vie... Et ce moment où la désillusion lucide permet peut-être le rebond.

Avec sa fausse légèreté de ton et sa précision de radar millimétrique, un grand livre.

Et Suzanne ? Suzanne au discours aujourd'hui à peine intelligible ne fut-elle pas, lors d'un autrefois désormais impensable, l'objet de quelque chose qui au présent n'existe plus, n'existe pas, n'a semble-t-il jamais pu exister ?
Ne fut-elle réellement rien d'autre que ce vase où se couler a pu passer pour une solution confortable, cette prothèse propre à imposer à l'être la forme qui lui manquait ?
(Seulement à peu près propre, rectifie le rpésent. Simplement moins impropre sans doute que n'a pu l'être Alexandrine aux désirs moins clairement formulés.)
Sans doute pas. Pas tout à fait. Parfois peut-être la vie a-t-elle exercé sur l'être des pressions (la pression du regard d'une personne aimante, l'impression intime d'un devenir possible) qui ont pu lui faire quitter pour un instant son état liquide.

 

Anamnèse de Lady Star

Inattendue apocalypse, fascinante enquête historico-policière, invention d'un avenir. Éblouissant.

Après CLEER, magistrale première collaboration entre Laurent et Laure Kloetzer, en 2010, le couple nous revient en ce mois d’avril 2013 avec 270 pages qui devraient – je pèse mes mots – faire date. Anamnèse de Lady Star est certainement l’un des meilleurs romans étiquetés « science-fiction » que j’aie lu ces dernières années, et l’un des meilleurs romans – tout court –, traitant avec ambition et exigence d’un agencement du devenir collectif et des devenirs individuels, que je connaisse.

Une difficulté pour en rendre compte reste d’éviter tout dévoilement dommageable, car si le suspense n’est pas, du tout, le moteur principal du roman, la joie des découvertes et des connexions inattendues y est bien présente, jusqu’au bout… Je vais m’y efforcer, en ne présentant « clairement » que les éléments factuels établis dès les premières dizaines de pages.

Dans un futur plutôt proche a lieu le Satori. L’espèce humaine titube quelques mois, quelques années, au bord de l’anéantissement, après qu’une bombe terroriste d’un genre tout à fait particulier – s’attaquant, visuellement, à la structure psychique et cognitive de l’esprit humain – a été utilisée à Islamabad, et ait rapidement contaminé des centaines de millions d’individus, bien au-delà des visées des apprentis sorciers ayant commis l’attentat.

Autour de ce point zéro du Satori, qui domine la chronologie des 70 années qui seront évoquées dans le roman (15 avant, 55 après), il s’agit bien de « refermer la boîte de Pandore » (que représente l’existence de cette bombe), boîte de malédiction ouverte par une poignée d’universitaires avant-gardistes « illuminés », avec le soutien de militaires dépassés par leur création et d’idéologues dévoyés à même de kidnapper le produit de leurs recherches conjointes… De la commission d’enquête internationale chargée d’établir les responsabilités du désastre et de traquer les coupables aux organisations plus secrètes s’auto-mandatant pour éradiquer le risque de récidive au plus profond possible, de base militaire japonaise en hôtel de luxe abandonné en Suisse, L.L. Kloetzer a su, comme dans le roman précédent, mais à la puissance 10, éviter le piège de l’essai futuriste bavard déguisé en récit.

Le roman suit au plus près quelques personnages, dont les puissances, les fragilités ou les faiblesses, à l’instar des deux consultants employés par CLEER, constituent les véritables moteurs du roman. Personnages d’enquêteurs dévoués, scrupuleux, voire doués, qui doivent toutefois s’inventer un destin individuel au-delà de la traque à laquelle ils se consacrent… Personnages, surtout, qui se réorganisent en permanence, qu’ils le veuillent ou non, autour de la figure centrale du récit, toute en beauté, en absence et en dissimulation, présence fantômatique mais pourtant bien réelle qui, créature fantastique nécessitant des trésors d’attention pour pouvoir exister, cherche elle-même une voie possible, une existence, en précédant les enquêtes pour mieux s’y fondre…

Car parallèlement à l’enquête devant clore le passé, l’espèce humaine décimée doit absolument s’inventer un futur, s’abstraire si possible d’une planète devenue trop dangereuse, tant que rôderont victimes en sursis et pièges symboliques à retardement. Dans cette quête d’univers nouveau où les plus pointus savoirs-faire en matière d’environnements informatiques ludo-poétiques ne peuvent que jouer un rôle essentiel, c’est peut-être de la fusion pourtant a priori impossible de ces désirs individuels contradictoires qu’une synthèse victorieuse pourra naître.

Un roman passionnant de bout en bout, dont l’écriture d’une rare précision technique reste nimbée, comme dans CLEER, d’une poésie diaphane, et dont la résonance, comme une ultime note de basse distordue mais porteuse, dure bien longtemps après la fin de la lecture.

Nous l’avons crue. Nous avons bien voulu accepter la mort de Legorre. À l’époque de cette lecture, nous n’avions pas encore navigué, nous ignorions qu’il est très dangereux de projeter la carte sur le paysage, car dans ce cas on trouve toujours ce qu’on veut chercher. Alors qu’il faut plisser longtemps les yeux à regarder les rochers noirs affleurant dans l’écume, chercher tout autour, sans préjugés ni idées préconçues, comme si on apercevait cette côte pour la toute première fois. Et enfin, les yeux piquetés de sel, redescendre à la table à cartes.
Qu’avons-nous appris depuis ? Que le contenu de la confession Legorre a été diffusé à l’ensemble des services de renseignements coalisés deux jours seulement après le Satori. Que Rastogi savait donc parfaitement ce qu’il pouvait s’attendre à trouver. Il était très tentant pour lui de retrouver le corps du terroriste qui avait posé et armé la bombe… Nous ne pensons même pas à l’avantage personnel que l’homme aurait pu en retirer, plutôt à l’impact idéologique d’une telle découverte, d’une telle preuve. Madame Pradesh n’avait aucune raison de mettre en doute le témoignage du capitaine. Les choses ont changé.

 

Le fil d'avril

Tout d’abord, deux rappels importants :

  • depuis novembre, nous sommes ouverts tous les dimanches de 11 h 00 à 17 h 00. Pensez-y pour vos balades culturelles dominicales !
  • en ce moment même, nous avançons dans la pesée de nos collections, et la Vente Par Correspondance est donc ouverte sur nos 12 000 références de neuf et nos 3 000 références d’occasion, avec le choix entre colis et retrait chez Charybde. Plus d’excuse pour ne pas en profiter, même si vous n’habitez pas tout près, donc !

Ensuite, un programme d’avril joliment chargé :

- le jeudi 4 avril, c’était le lancement du Six photos noircies de Jonathan Wable, un premier roman captivant qui vient de paraître chez les talentueux Attila, sous sa forme de vrai-faux recueil de nouvelles à tonalité fantastique et scientifique, accompagnant deux opiniâtres enquêteurs de l’étrange ;

- le mardi 9 avril, venez rencontrer Daniel Martinange qui, après avoir enchanté vingt ans durant les lecteurs d’Univers et de Fiction de ses nouvelles flamboyantes et originales, et après une pause dans son écriture, nous revient cette année avec un premier roman, L’ouragan, qui ne vous laissera pas indifférent, entre sa méditation sur les « secondes chances » et sa course picaresque échevelée entre France, Etats-Unis et Argentine ;

- le samedi 13 avril, ce seront nos cinquièmes DYSTOPIALES, une occasion rare de rencontrer de près, dans un cadre intime, chaleureux et détendu, des auteurs aussi divers et passionnants que Xavier Mauméjean (dont le roman « American Gothic » nous offre une magnifique plongée dans l’écriture de fiction à l’époque du mccarthysme…), Romain Verger (l’un des plus attachants auteurs français de l’éditeur Quidam, évoluant subtilement à la frontière du réalisme minutieux et rêveur et du fantastique inquiétant et rêvé), Elvire De Cock (dont les magnifiques dessins illustrent plusieurs bandes dessinées que nous adorons ici, et notamment le très celtique, très mythologique et très victorien Tir Nan Og), Yves et Ada Rémy, dont nous pourrons célébrer, enfin, la réédition des mythiques Soldats de la mer aux éditions Dystopia, et l’un de nos parrains (il fut en 2011 le tout premier auteur invité chez Charybde, deux jours après l’ouverture) Tommaso Pincio, dont le nouveau roman traduit chez Asphalte, Les fleurs du Karma, lui donne aussi un beau prétexte pour nous exposer ses portraits peints et nous organiser généreusement une tombola toute spéciale ! Pendant ce temps, chez Scylla, à deux pas de Charybde, Régis Antoine Jaulin rencontrera les fans de son épique premier roman à la rare maturité, Le dit de Sargas ;

-le mercredi 17 avril, nous accueillerons pour la première fois nos amies et amis des Palabres autour des Arts, dans un format inhabituel chez Charybde qui devrait vous réjouir : cinq lecteurs voraces et pertinents de « toutes les littératures africaines » discutent de cinq livres autour d’un thème (ce jour-là, ce sera « l’amitié »), avant de présenter et questionner leur invité, qui sera Ralphanie Mwana Kongo (auteur d’un très attachant La boue de Saint-Pierre qui revisite avec grand talent un terrible drame survenu il y a vingt ans à Brazzaville) ;

-le jeudi 18 avril, Fabrice Colin sera parmi nous pour fêter et dédicacer son deuxième thriller, Ta mort sera la mienne, superbement réussi à notre avis, décortiquant avec brio et rythme la genèse d’un mass murder au Colorado de nos jours ;

-le jeudi 25 avril, c’est Pierre Jourde qui nous a fait la gentillesse d’accepter d’être notre libraire invité. Avec sa double stature d’écrivain exigeant et de critique pointu et original, nul doute que sa présentation de sept de ses livres préférés devrait vous faire saliver ! ;

-et pour clore ce mois bien dense, le samedi 27 avril, Laurent et Laure (L.L.) Kloetzer seront avec nous pour célébrer la sortie de leur deuxième roman écrit à quatre mains, après le somptueux CLEER il y a deux ans. Cette Anamnèse de Lady Star devrait satisfaire et enthousiasmer aussi bien les plus exigeants aficionados de SF que les passionnés de réflexion contemporaine ou de poésie technologique légèrement mystique. Ou que les amatrices et amateurs d’excellente littérature, tout simplement.

Irène, Nestor et la vérité

Le poème en prose du langage comme incompréhension radicale.

Premier roman de Catherine Ysmal, paru en 2013 chez Quidam Editeur, Irène, Nestor et la vérité propose, à travers l’imbrication de trois phénoménaux monologues, une mise en scène vertigineuse de l’incompréhension destructrice des êtres, ici au sein d’un couple, plus généralement dès qu’il y a tentative d’utiliser le langage pour communiquer, en en espérant une illusoire objectivité.

Couple en cours de désagrégation, Irène et Nestor parlent. Pas ensemble, impossibilité fondamentale, mais chacun pour soi, sous l’œil de Pierrot, voisin, ami, coupable peut-être, par action ou par omission. Reclus dans cette modeste maison de la campagne, sans doute suite à des déboires socio-économiques qui ne seront que fugitivement évoqués, ils s’approprient tour à tour, chacun à sa « façon » bien particulière, lexique et syntaxe, au service de leurs quêtes respectives, liberté, besoin de poésie et d’inconséquence qui iront vers ce qu’il est convenu d’appeler la folie chez Irène, normalité égoïstement sourde, désir de rigueur raide, auto-justification rassise chez Nestor, peut-être jusqu’à la dépression ou au suicide, qui sait ?

Sur la toile de fond impitoyable d’un quotidien secrétant à l’envi ses innombrables frictions, énervements, manies en trajectoire de collision et petits chocs des malentendus qui s’accumulent jusqu’à acquérir un élan irréparable, Catherine Ysmal a construit deux terrifiantes et belles fuites langagières dans la perte du sens, autour d’un tiers axe impassible et dépassé, dessinant au fil des pages la double spirale de l’ADN de l’incommunication.

Troublant, puissant et magnifique.

J’avance et elle recule. Elle m’échappe, Irène, contrepied, pas de danse. Réellement. Et c’est peut-être dans ce doute que je m’égare, qu’elle ait pu le faire ainsi, de côté, pas de face, pas comme un taureau fou qu’elle était pourtant, puissante, cornes toute dressées, venant au combat et poussant de ses forces. Au début, elle charge. Je le dis au présent, je veux toujours dire au présent même si je ne fais que me souvenir.
Je la tiens.

 

L'ouragan

Vrai-faux road-novel amoureux, rêverie sous speed sur les "secondes chances". Bien réussi.

Étonnantes retrouvailles avec un auteur par moi perdu de vue, depuis ses premières nouvelles dans les années 70, sous l'égide bienveillante de Bernard Blanc et d'Yves Frémion (je me souviens notamment avec grand bonheur des magnifiques Les maîtres du monde et La ballade des dieux, dans les revues Univers 15 et 18).

L'auteur a depuis lors écrit des dizaines de nouvelles (que je vais m'empresser de découvrir maintenant), mais c'est avec un roman, son premier semble-t-il, qu'il est publié en 2012 chez Stéphane Million.

Roman échevelé en diable, comme son titre le laissait supposer, L'ouragan suit Antoine, modeste cultivateur stéphanois, cinquantenaire et célibataire, se voyant sans attraits notables, et qui n'a guère "vécu" jusque là lorsque débarque dans sa vie, par hasard, flamboyante, la Patagone Bahia, qui lui révèle vite une toute autre existence, de beauté permanente, de bonheur serein et de sexe joyeux.

Las, lorsque des morceaux d'une vie précédente de la fantasque Argentine se manifestent, le drame survient, et Antoine torpille dans un accès de colère cette nouvelle vie inespérée, entamant alors une fuite éperdue et picaresque, jusque dans l'Ouest américain, en un vain effort pour oublier d'abord et peut-être retrouver ensuite le Paradis perdu dont il s'est lui-même chassé, en compagnie de personnages croisant sa route et s'y attachant, paumées au grand cœur à la Fajardie, cowgirls entrepreneuses, ranchers amérindiens à la taciturne sagesse, ou encore compagnons de beuverie et de faconde que l'on jurerait parfois préparer l'apparition d'un oiseau canadèche cher à Jim Dodge.

Vrai-faux road novel, improbable et belle histoire d'amour, méditation conduite sous excitants sur la "deuxième vie" ou la "deuxième chance". Tout cela, et une jolie réussite.

Aussi Antoine s'exprimait-il peu. Il ne desserrait pratiquement plus les dents depuis son passage dans cette banque stéphanoise, pour placer le magot à son identité d'emprunt. Elle pourrait lui expédier n'importe où des liquidités. La valise bourrée de liasses de gros billets, à la chargée de clientèle éberluée :
- C'est un héritage. Un oncle. Il a vendu des terrains à bâtir. Il dépensait rien. Il faisait pas confiance aux banques. Il cachait ses sous dans des boîtes en fer. C'était un plouc.
Giflé par les rires de la femme !
Dire plouc pour la première fois de sa vie, s'insulter, et devant elle. Déstabilisé par ses bracelets de brillants qui toctoquaient le clavier de l'ordinateur, la manchette de son journal financier sur la guerre économique, autour des yeux, sur les paupières et la bouche ses peintures de guerrière. Ou de star de cinéma. Qui ne l'attirait pas.
Depuis sa rencontre avec Bahia il n'avait plus ni cerveau ni sexe. Mais dans sa tête et son entrejambe un organe unique, indéfinissable, tout à elle dévolu. (...)
Moque-toi banquière, et je te tue !
Bahia vantant la dure, douce, redoutable, rassurante sauvagerie du vent patagon, elle causait d'elle, tiens, fille de cette dinguerie.

 

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