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Romanciers pluralistes

Passionnante, ambitieuse, profonde et vivante lecture d'auteurs phares parfois réputés difficiles.

Publié à l’automne 2013, cet ample essai de Vincent Message, après son roman « Les veilleurs » de 2009, est sans doute l’un des plus intéressants, réjouissants, ambitieux et néanmoins abordables qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.

Professeur de littérature comparée à l’université Paris-VIII, l’auteur réussit à la fois une lecture particulièrement riche et pertinente de la notion de « pluralisme » dans le roman, mais y ajoute avec brio d’audacieux « ponts » avec cette même notion en philosophie et en politique.

S’appuyant de manière détaillée sur cinq romans emblématiques pour son propos (« Terra Nostra » de Carlos Fuentes, « Tout-monde » d’Édouard Glissant, « L’homme sans qualités » de Robert Musil, « L’arc-en-ciel de la gravité » de Thomas Pynchon, et « Les versets sataniques » de Salman Rushdie), mais convoquant lorsque nécessaire, avec la même vigueur, Hermann Broch, Italo Calvino, Umberto Eco, Doris Lessing, Orhan Pamuk ou encore Milorad Pavic, Vincent Message s’attelle – et parvient – à une sérieuse réactualisation du travail de Mikhaïl Bakhtine autour de la polyphonie dans le roman, en allant à la fois sensiblement plus profondément, en élucidant le halo de flou et d’imprécision qui finit par entourer le travail du Russe à force de galvaudage ces dernières années, et en lui rendant un bel et justifié hommage.

Travaillant sur les points de vue de narration, le traitement des opinions exprimées et les voix des protagonistes, l’auteur décrypte les liens existants – ou pouvant être légitimement établis – entre ces romanciers foisonnants par excellence, et les impacts philosophiques et politiques d’une mondialisation ayant pris des caractéristiques bien particulières et pas toujours « démocratiques » depuis le milieu des années 1930. Par un savant détour impliquant les philosophes pragmatistes connaissant un véritable renouveau d’intérêt depuis une dizaine d’années (et tout particulièrement William James), il propose une passionnante lecture des faits (et des ambiguïtés potentielles) que sont multi-culturalisme et métissage, mais aussi pluralisme religieux et pluralisme scientifique, en dégageant avec sérieux et enthousiasme l’apport crucial de la littérature (et bien entendu, au premier chef, des romanciers « pluralistes » les plus ambitieux en son sein) en la matière.

Une lecture passionnante de 460 pages, fournissant à la fois, d’une formidable clarté, une grille de lecture et d’approche d’auteurs réputés parfois « difficiles », et une enthousiasmante envie de lectures, centrales et complémentaires. À recommander aux passionné(e)s exigeant(e)s de littérature sans la moindre hésitation.

 

Tu reviendras à Région

Monstrueux roman de 1967, coup d'envoi d'une œuvre exceptionnelle.

Écrit dans sa première version en 1951, publié en 1967, traduit en 1989 en français aux éditions de Minuit dans une version remaniée intégrant les derniers éléments encore censurés auparavant par le régime franquiste, le premier roman de l’Espagnol Juan Benet, Tu reviendras à Région, appartient au club pas si fourni que cela des romans contemporains fondamentaux, posant d’emblée, au plus haut niveau d’exigence littéraire, les fondations d’une œuvre majeure, en seulement 400 pages.

« Région » est un terroir fictif d’Espagne, sauvage et mal dompté, élaboré au fil de l’ensemble des huit romans de l’auteur, à partir du cadre ici initialement tracé. La carte détaillée au 1 :150 000 en sera d’ailleurs fournie en 1983, avec le premier tome des Lances rouillées. Le lecteur, même lorsqu’il croira avoir acquis quelques repères fugaces, ira toujours de découverte en découverte dans « Région », à la fois immuable et arriérée, engoncée dans son climat si rude, ses montagnes si inhospitalières, ses innombrables secrets fuyant aux limites du fantastique (depuis ses bergers mercenaires offrant contrôle et renseignement… - à quels maîtres ? – jusqu’à Numa, énigmatique gardien d’un maquis sacré, réputé immortel, dont le fusil tonne rapidement et définitivement sur l’audacieux ou l’imprudent), malmenée, rompue et transformée par la Guerre Civile, puis par ses longues séquelles, peinant toujours et encore à se hisser dans une modernité qu’elle ne devine pas nécessairement désirable.

L’écriture est ici d’une rare densité. Les narrateurs multiples, grands maîtres en digressions insensées et emboîtées, virevoltent, personnages ou auteur, ne semblant pas toujours se soucier les uns des autres, pour charger leur discours, leur pensée, ou même leur dialogue apparent, de précisions, de technicités, de réalités épaisses et crues, dont l’ingénieur des Ponts et Chaussées Benet, concepteur et réalisateur de barrages et autres ouvrages hydrauliques pendant trente ans, féru de géologie, de géographie, de biologie, d’histoire et d’art militaire, a le secret, et n ‘hésite jamais à mobiliser pour des effets déroutants, subtils et profondément jouissifs.

Dans Tu reviendras à Région, la remarquable traductrice et exégète de Benet, Claude Murcia, n’hésite pas à préciser le fil chronologique du roman dans sa préface, tant il est vrai que l’auteur enveloppe les récits de ses principaux personnages, brillant docteur de campagne qui fut amoureux transi et audacieuse jeune femme qui disparut soudainement, jadis, comme par magie, dans des nuages fumigènes que parcourent à loisir et à mystère officiers républicains improvisés, mineurs taciturnes, joueurs de cartes effrénés, batelières charonesques en diable, ou encore militaires rebelles et néanmoins méthodiques…

Une fresque complexe et magnifique, déroutante et précieuse. Et une énorme et belle révélation.

« Et, en haut des montagnes noires qui entourent le village, les fumées isolées qui dénoncent la présence de ces ennemis du paysan, cachés, inconnus et omniprésents – les bergers -, lesquels, très certainement, profitent de leur position stratégique et de leur apparence pacifique pour surveiller nuit et jour l’activité du village et susciter auprès d’une lointaine capitale l’avis d’éviction dès qu’un paysan lève les yeux du sillon de sa charrue. Car ils sont le bras séculaire du propriétaire foncier d’Estrémadure ou de Castille ; montés sur de petits ânes et juchés sur une pyramide de matelas, de paquets et de poêles (aujourd’hui, ils ont même la radio), au milieu d’un troupeau malodorant et poussiéreux – flanqué de ces chiens de berger qui semblent avant tout surveiller la ségrégation des sexes -, ils reviennent chaque année au début du mois de mai, avec cette expression outrée, maligne, endormie, incertaine et énigmatique d’un Tamerlan qui, après avoir parcouru et conquis toutes les steppes asiatiques, entrouvre à peine des yeux malicieux devant les verts paysages des rivages européens. »

 

Fin d'année 2013 : sélection de Beaux Livres

Horaires de fin d'année
 
Jusqu'au 31 décembre, la librairie est ouverte 7/7 (fermeture le 25décembre) :
du lundi au vendredi de 12h à 19h30
le samedi de 10h à 19h30
le dimanche de 11h à 17h
 
N'hésitez pas à passer nous voir, nous serons heureux de vous conseiller pour vos achats de Noël !
 
 
Une partie de notre sélection de beaux livres, disponibles à la librairie :

Mythiq27 de Collectif (coup de coeur de Charybde 2)

Périphérique, terre promise  de Léo Henry, Luc Gwiazdzinski, Eric Besnier, Marie-Pierre Dieterle, Pieter Jan Louis, Thomas Louapre, Ludovic Maillard et Sébastien Sindieu

Ulysse ou les constellations de Franck Pourcel & Gilles Mora (coup de coeur de Charybde 7)

Taxi driver de Steve Shapiro

Jack London photographe de Jeanne Campbell Reesman, Sara S. Hodson, Philip Adam

Opus IX, La Demeure du chaos de Thierry Ehrmann & collectif

Permanent error de Pieter Hugo (coup de coeur de Charybde 2)

Steampunk : de vapeur et d'acier de Didier Graffet & Xavier Mauméjean (coup de coeur de Charybde 1)

Mondes et voyages de Didier Graffet

Le bestiaire imaginaire de Julie Delfour (coup de coeur de Charybde 7)

Kadath : le guide de la cité inconnue de Nicolas Fructus, David Camus, Mélanie Fazi, Raphaël Granier de Cassagnac et Laurent Poujois

Un an dans les airs de Nicolas Fructus, Johan Heliot, Raphaël Granier de Cassagnac et Jeanne-A Debats

Pinocchio de Winshluss

Transperceneige de Jacques Lob, Benjamin Legrand, Jean-Marc Rochette

2001 nights stories de Yokinobu Hoshino

La guerre dans la BD de Mike Conroy (coup de coeur de Charybde 2)

R. Crumb, catalogue d'exposition de Robert Crumb

Trésors de l'Institut national de recherche et de sécurité de Collectif (coup de coeur de Charybde 4)

Ligatura de Steve Tomasula

La mariée mécanique de Marshall McLuhan

La ville magique de Collectif

Cuba New-York, un voyage en peinture d'Emmanuel Michel

The Weird de Jeff & Ann Vandermeer (en VO)

Libraire du mois : Julien Campredon

Enrique SERNA Amours d'occasion

Jean-Marc AUBERT Argumentation de Linès-Fellow

Grégoire COURTOIS Les travaillants

Jack BLACK Yegg

Antonio ALTARRIBA & KIM L'art de voler

Antonio SOLER Le sommeil du caïman

Yann GARVOZ Plantation Massa-Lanmaux

Des livres à mettre sous le sapin

A l'approche des fêtes, Charybde vous propose une liste de livres qui nous ont énormément plu parmi nos lectures de cette année, et que nous jugeons "parfaits pour offrir".
 
Charybde 1 a les yeux qui brillent pour l'aventure :
- Palabres d'Urbano Moacir Espedite : une fable politique entre le Berlin des années 30 et une Amérique latine fantasmée. Drôle drôle drôle !
- Victus d'Albert Sanchez Pinol : un magnifique récit historique, et un très beau roman d'aventures. Somptueux.
 
Charybde 2 vous recommande ces fleuves terribles, qui emportent tout sur leur passage :
- Sur le fleuve de Léo Henry et Jacques Mucchielli : un fort beau roman, qui joue avec Aguirre et l'Eldorado, d'une écriture riche et subtile.
- Et quelquefois j'ai comme une grande idée de Ken Kesey : huit cent pages de très grand art du caractère et du récit, qui vivront en vous bien des jours après avoir refermé l'ouvrage.
 
Charybde 3, notre caution sensibilité, vous recommande de l'émotion, belles plumes et poésie :
- Dans le silence du vent de Louise Erdrich : un superbe roman d’apprentissage au cœur des réserves indiennes.
- La parabole du failli de Lyonel Trouillot : la mélancolie rageuse d'une adresse à l'ami poète suicidé. Brutal, tendre, et combatif.
 
Charybde 4 a déniché pour vous ces deux perles improbables :
- Ours de Diego Vecchio : un vrai conte pour les adultes, cruel et onirique.
- American gothic de Xavier Mauméjan : l’odyssée d’un paumé devenu un des piliers fondateurs de la culture populaire américaine moderne (dans le sens le plus noble du terme).
 
Charybde 7 aurait voulu vous en proposer six, huit, dix, mais ceux-là sont ses préférés :
- L'homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirak : un récit empreint de tristesse et un pamphlet férocement drôle, satire estonienne mais d’une portée universelle.
- Histoire de l'argent d'Alan Pauls : magnifique exploration, à travers le destin d’une famille argentine, de la dépendance et du rapport à l’argent. 
 
Et Charybde au complet insiste, s'il n'y avait qu'un seul livre à offrir cet hiver, ce serait l'un de ces deux-là :
- Confiteor de Jaume Cabré : CHEF-D'ŒUVRE ! (clament-ils en chœur)
- Les soldats de la mer de Yves et Ada Rémy : CHEF-D'ŒUVRE ! (en canon, chantent-ils)
 
Heureusement, on peut en choisir plusieurs, n'est-ce pas ?
 

Bestiaire imaginaire

Inspiration des rêves et fantasmagories, Julie Delfour dresse dans ce livre un bestiaire poétique des créatures fantastiques que les écrivains, savants, naturalistes et dessinateurs ont décrites et dessinées au fil des siècles, du Mahâbhârata jusqu'à l’Histoire naturelle de Buffon ou aux légendes indiennes.

Oiseaux démesurés ou créatures volantes côtoyant les astres et les mystères célestes, comme l’oiseau Roc ou encore le sîmorgh, créatures terrestres comme le kikomba, grand primate aux humeurs facétieuses ou cruelles ou bien sûr l’homme loup, créatures souterraines, sous-marines ou encore monstres, chimères ou falsifications, chacune des dizaines de créatures recensées dans ce bestiaire est magnifiquement illustrée par des œuvres de William Blake, d’Odilon Redon, de Gustave Moreau, des miniatures perses ou turques, ou encore des gravures de tous les continents …

Même si l’homme a foulé tous les continents, il reste à découvrir des bêtes ignorées. Alors on rêve de chevaucher le fulgurant hippogriffe, d’observer, mais de loin, la course de la manticore mangeuse d’hommes, ou encore la nage du serpent de mer à crinière.

Ce beau livre, source presque inépuisable d’histoires et d’imaginaire, donne aussi envie de lire, relire ou d'offrir le roman-nouvelles «Six photos noircies» de Jonathan Wable.

[Le lièvre lunaire] « Contrairement aux Occidentaux qui voient dans les taches couvrant la surface de la lune la silhouette d’un homme, les Chinois y devinent celle d’un lièvre. Car selon une légende chinoise, un lièvre se jeta dans le feu pour nourrir Bouddha affamé, lequel le récompensa en envoyant son âme sur la lune. Certains conteurs affirment que le lièvre en personne, et pas uniquement son âme, y vivrait encore. Très affairé, il y préparerait un élixir d’immortalité, d’où son surnom de "Docteur"… »

[Le poisson-évêque] « Cet hybride mi-homme mi-poisson arbore de larges écailles en forme de mitre au sommet de la tête et, sur les flancs, des nageoires tombantes rappelant la robe portée par les évêques à l’office. Quelques spécimens repêchés en mer auraient, selon les témoins, tenu fermement une crosse au bout de leurs nageoires. De quoi apporter de l’eau au moulin de la légende selon laquelle ce poisson remplit son rôle d’évêque au sein d’églises sous-marines, face à un public de sirènes et de tritons… »

Belém

Un très grand roman noir, sans aucune concession à la légèreté virevoltante des écoles de samba.

Publié en 1998, traduit en français en octobre 2013 par Diniz Galhos chez Asphalte, le premier roman du Brésilien Edyr Augusto, marque l'apparition dans le roman noir contemporain d'une voix originale, issue du journalisme, ancrée dans la grande ville de Belém, capitale de l'état du Pará à l'embouchure de l'Amazone, commodément située à un important carrefour potentiel de tous les trafics sud-américains.

Enquêtant sur le décès brutal et suspect d'un coiffeur de la jet set de Belém, l'inspecteur Gilberto Castro, brillant policier de la nouvelle génération, séducteur, séparé de sa femme par quelques problèmes récurrents d'alcoolisme, nous montre d'abord, loin de tout exotisme frelaté, avec une jolie et presque paisible finesse, à quel point les forces policières contemporaines sont désormais, elles aussi, en pleine mondialisation : confrontées à des problèmes voisins de Stockholm à Baltimore, de Barcelone à Porto Empedocle, de Paris à Belém, leurs investigations tendent de plus en plus à se ressembler, et ce vaste "procedural" global développe en soi quelque chose de légèrement glaçant...

L'art particulier d'Augusto se révèle lorsque l'enquête banale, "de droit commun" pourrait-on dire, se ramifie dans le "très gros" trafic, celui où d'un coup peut se révéler toute la corruption organisée par l'argent massif, celui où les mafieux rencontrent les intérêts d'une très haute société, brésilienne ou autre, dont le confort, les plaisirs et la transformation des autres en objets de leur avidité ne connaît plus guère de limites. Mise en œuvre avec un paisible machiavélisme, la noirceur de la tragédie envahit alors le roman avec une brutalité inexorable qui laisse le lecteur pantelant à l'issue.

Un très grand roman noir. Vraiment noir et sans rémission, sous son rythme et ses couleurs faussement virevoltantes de la légèreté des écoles de samba qui parcourent la ville.

"Maintenant, Bode, on est sûrs.
- Sûrs que c'est ce type qui a commandité l'orgie, Gil. Rien de plus.
- Putains de richards. Ce mec a une épouse qui l'attend à la maison, la belle vie, une belle baraque, télévision, voiture étrangère, et il faut en plus qu'il paye pour se taper des femmes. Excuse-moi, même pas des femmes. Des gamines qui sentent encore le lait, des filles qu'ils dévorent comme des lions...
- Eh ouais. Monde de merde.
- Leur monde de merde.
- Le nôtre aussi, parfois.
- Uniquement si tu l'acceptes.
- Question épineuse.
- Babalu ne méritait pas de mourir comme ça.
- Tu l'aimais vraiment ?
- C'est pas ça. C'est juste qu'elle était vraiment belle, tu vois ? Dieu fait les choses bizarrement. Toutes ces bourges qui se tuent à la tâche pour devenir belles, gym, chirurgie esthétique, sapes, et puis apparaît une gamine venue du trou du cul du monde, et elle est naturellement belle, tu vois ce que je veux dire ? Cette fille-là était vraiment spéciale. Je suis sortie avec elle et elle m'a fait une sacrée impression...
- Tu te l'es tapée.
- Je voulais, oui. Je voulais. Mais pas elle. Ce qu'elle voulait, c'était une relation, une vraie, tu vois ? Je l'ai déposée chez elle et je lui ai dit que je la rappellerai. Mais avec cette vie qu'on mène..."

 

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