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L'étrange destin de Wangrin

La vie d'un interprète indigène malien, son succès et sa chute. Beau, poignant et drôle.

Paru en 1973, ce récit largement inspiré de faits authentiques (l'auteur le présente même avec insistance comme la simple retranscription à peine enjolivée des récits qu'il a recueilli auprès du protagoniste principal, et recoupé auprès d'autres personnes impliquées) est peut-être l'œuvre la plus aboutie et la plus agréable d'Amadou Hampaté Bâ, mondialement célèbre principalement pour son autobiographie "Amkoullel, l'enfant peul", publiée juste après sa mort en 1991.

Le personnage surnommé Wangrin, qui a donc réellement existé, construit son extraordinaire succès entre 1910 et 1930, s'élevant à partir de sa réussite scolaire à l'école "des Otages" (où les enfants des chefs coutumiers étaient prudemment rassemblés par le colonisateur) du Soudan français, pour devenir d'abord un incontournable interprète administratif officiel (rôle d'interface qui tend à être un véritable "n*2" pour tout administrateur colonial de l'époque), puis un très riche marchand, avant de finir ruiné... : voleur habile avec les riches et les puissants, bienfaiteur des pauvres et des laissés pour compte, un destin en effet extraordinaire.

Complexe mélange d'intelligence débridée, de ruse sournoise, de courage, de magnanimité, de générosité, d'implacabilité et d'ambition forcenée, Wangrin prend ici une stature pleinement mythique, largement aux côtés d'un Robin des Bois, proposant une fin autrement belle, en un sens, que le terrible "Timon d'Athènes" de Shakespeare, dans un récit tout en saveurs corsées, linéairement mais subtilement mené à la manière d'un griot, chère à Amadou Hampâté Bâ.

Un très beau livre.

"- Je te suis très mal. Explique-toi plus clairement, mon cher Wangrin.
- C'est clair, pourtant. Je trouve qu'un ancien conducteur de mulets, bien qu'il soit successivement devenu sergent de tirailleurs sénégalais, brigadier-chef de gardes et finalement interprète, ne cessera jamais d'être un valet. Il serait inconvenant qu'un "goujat" se pavanât dans un paradis, y assourdissant tout le monde avec les accents de son "forofifon naspa", alors que des hommes lettrés, sur qui doivent descendre bénédiction et miséricorde du ciel et de la France, peinent dans l'enfer de la pauvreté.
C'est pourquoi j'ai décidé de revenir ici comme interprète. Je sais que tu ne voudras pas partir de ton plein gré. C'est pourquoi je te compare à Adam et moi à l'ange-gendarme. Mais sois tranquille, je ne me servirai pas de flammes pour te chasser d'ici. je n'aurai besoin que de quelques lignes d'écriture couchées sur un papier de format 21/27. Cela s'appelle, au cas où tu ne le saurais pas, une décision.
Romo Sibedi fut complètement hébété par cette déclaration si inattendue. N'était-ce pas là le plus grand témoignage d'ingratitude qu'un étranger pût exprimer à son logeur ?"

 

Au royaume d'Abomey

Talent ethnographique et prodigieuse culture africaine pour décrire les traditions actuelles.

Médecin de profession, célébré pour son grand roman africain "La mémoire du fleuve" en 1984, Christian Dedet publiait en 2000 ce récit-essai, fruit d'un long séjour au Bénin dans les années 1993-1995, durant lequel il se penchait sur le puissant mouvement de "revival" du vodoun et de la royauté (pas uniquement cérémoniale) d'Abomey, sous le régime Soglo, après la fin du "marxisme-léninisme" de Kérékou.

Avec un réel talent ethnographique, et une affectation de distance voire de cynisme plutôt bienvenue, l'auteur sait aussi bien entrer dans les détails du vu et du vécu, souvent bien étonnants, que dans les comparaisons et réflexions astucieuses, nourries d'une prodigieuse culture africaine.

Pour finir par quelques professions de foi sur la nature de son engagement dans ce continent :

"On me demande parfois ce qui m'attire, tout près de l'équateur. Médecine ou littérature, j'avance des arguments raisonnables. Comment faire admettre à des gens bien programmés que l'on poursuit, au-delà des limites permises, un rêve adolescent ? Loin des utilités et des calculs qui nous enchaînent à milles lieues de nous-même, je m'y promène depuis vingt ans dans la jubilation d'un retour aux émotions primordiales.
Il y a tellement d'Afriques ! Elles sont si pleines de couleurs, de rumeurs, de bigarrures, de musiques envoûtantes, d'odeurs vigoureuses et superbes, de rythmes qui courent dans les hanches et dans les voix ! Afrique des anges tutélaires, soudain surgie de n'importe quelle banlieue, quand j'entends Angélique Kidjo, ce petit diamant de la chanson noire, cette sombre et profonde flamme en transe perpétuelle lancer en langue fon, comme si elle s'adressait aux foules de Cotonou : "Je suis partie depuis si longtemps que je me demande si le son des tambours possède le même pouvoir."
Afriques des grands espaces, de la savane, des forêts, de la plongée dans les masses, des épopées imprévisibles, des sociétés métissées, des anciens empires du Mali, des vaudous sages ou turbulents, des fantômes de l'hémisphère austral, des beautés somaliennes, souriantes ou impavides, des chefferies, des riyautés de sang et d'or ayant survécu aux envahisseurs et se perpétuant à la barbe du siècle... C'est ce foisonnement qui m'aura entraîné - péché capital ? - à recomposer après coup, sans grande méthode, ni fil conducteur trop astreignant, la part béninoise de mes fééries.
À moins que ce soit l'âge, lui encore, qui incite à une autre sagesse et me donne à penser que ce ne sont décidément pas les Africains qui déraisonnent ?"

 

Le vice-roi de Ouidah

À peine romancée, la vie d'un négrier brésilien, frère de sang du roi d'Abomey et fondateur mythique du Bénin moderne.

Publié en 1980, ce livre du romancier-voyageur anglais Bruce Chatwin (mondialement célèbre pour son "En Patagonie" de 1977) narre avec vigueur l'une de ces extrêmes bizarreries de l'histoire que peut parfois découvrir le curieux attentif : librement adaptée au cinéma à partir du roman par Werner Herzog ("Cobra Verde"), voici donc la vie de Francisco Manuel da Silva, métis brésilien de basse extraction mais redoutablement déterminé, qui deviendra au début du XIXème siècle capitaine de navire négrier, avant d'obtenir, installé à Ouidah au Dahomey (actuel Bénin), plus grand port négrier d'Afrique à l'époque, au prix de terribles aventures, vexations, inconforts et retournements de situation, en vrai "entrepreneur", le monopole de la traite d'esclaves au Dahomey avec la "bénédiction" du roi d'Abomey, devenu son frère de sang, et de fonder, grâce à une très abondante descendance d'enfants naturels l'une des grandes "dynasties" dirigeantes du Bénin d'aujourd'hui !

N'ayant pu à l'époque combler tous les interstices de l'histoire (réelle) de la famille De Souza (dont fait partie notamment la femme de l'actuel président du Bénin), Bruce Chatwin prit le parti d'imaginer ces quelques vides, et d'appeler son héros Da Silva, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir quelques démêlés avec les autorités locales de l'époque... à propos d'une histoire vieille de plus de 150 ans... Mais encore aujourd'hui, certains paradoxes tenaces n'aiment pas être rappelés de manière trop crue...

Un livre passionnant, légèrement desservi toutefois par un style alternant parfois trop violemment une certaine fadeur et un lyrisme excessif...

"Un soir où l'harmattan soufflait, elle rencontra un agent anglais qui remontait de la plage. Il lui parla d'un navire marchand ancré dans la rade. À bord il y avait un professeur venu pour recueillir les plantes et les animaux du Dahomey.
Cette nuit-là elle ne put trouver le sommeil et tenta d'imaginer les traits du professeur. À l'aube elle enfila une robe de mousseline blanche brodée de fleurs bleues. Elle noua un ruban à son chapeau de paille et accompagna Mr. Townsend jusqu'au rivage.
Des crabes s'enfuirent précipitamment devant eux quand ils descendirent le talus de sable blanc. À travers la brume se profilaient la coque et les vergues agitées par le roulis : puis, comme le temps s'éclaircissait, ils aperçurent le rouge du pavillon et les points noirs que formaient les passagers et l'équipage.
Mais le ressac était trop fort. Aucun passager ne put débarquer et les kroumans s'en retournèrent dans leurs cases.
Cinq jours plus tard, la mer se calma. Mr. Townsend envoya le signal "Paré". Elle regarda l'avant de la pirogue se dresser au milieu de l'écume et le dos des kroumans sous le soleil changeant.
Des requins passaient entre les lignes extérieures et intérieures des brisants, au cas où l'embarcation chavirerait : on disait qu'ils avaient une préférence pour la chair des Blancs. Le sorcier debout dans l'eau faisait cliqueter son chapelet à l'arrivée de la première pirogue. Elle priait également. Elle supportait difficilement le spectacle de ces hommes qui pagayaient pour maintenir leur embarcation en droite ligne."

 

Kampuchéa

Fascinant voyage au Cambodge, et autour de lui, du XIXème siècle au temps présent.

Publié en 2011, le neuvième ouvrage de Patrick Deville se sortait plutôt brillamment de l'un des grands défis auxquels est confronté le roman dit (souvent abusivement) "d'écrivain voyageur" : proposer un contenu qui ne soit pas uniquement fulgurance anecdotique, et disposer d'un fil conducteur qui permettre d'irriguer la géographie visée en en traversant les époques sans (trop) d'artifice.

Pour nous inviter à parcourir à ses côtés Cambodge, Laos, et dans une moindre mesure, Vietnam, l'auteur a su habilement utiliser le procès international à grand spectacle alors en cours à Pnomh Penh, celui des Khmers Rouges, donnant ainsi immédiatement au propos à la fois épaisseur et tragique, et a choisi intelligemment de structurer le voyage autour du Mékong, seul véritable axe de circulation de la région, et formidable frontière naturelle qui, chamboulée par le heurt des colonialismes français et anglais à la fin du XIXème siècle, ne put finalement jamais jouer ce rôle...

On apprécie donc dans le périple le style sec et toujours subtilement ironique, parfois à la limite du décharné et du moqueur, adopté par Patrick Deville, ses sauts référentiels qui savent ici rester discrets et pertinents (y compris ses fétiches personnels, Savorgnan de Brazza - sujet de son précédent opus, "Equatoria" - et Arthur Rimbaud), et sa froide sagesse dans l'appréciation d'événements historiques parfois singulièrement embrouillés.

Aux côtés de Pierre Loti et d'André Malraux, bien sûr, mais aussi des explorateurs / militaires / aventuriers Doudart de Lagrée et Francis Garnier, et surtout des innombrables personnalités politiques, souverains et dictateurs ayant précédé l'innommable, le régime honni des idéalistes jusqu'au boutistes Khmers Rouges, et leurs 3 ans et demi de pouvoir ayant tenté de démontrer jusqu'où pouvait aller la folie politique, aux côtés de leurs rares dénonciateurs précoces comme de leurs soutiens bien peu éclairés (surtout rétrospectivement, toutefois - ce que ne manque pas de noter l'auteur avec sa sombre malice...), ou encore de ceux qui choisirent, las de 20 ans de guerres indochinoises et encore prisonniers de leur grille de lecture "Spéciale Guerre Froide" (e.g. "mieux vaut des illuminés pro-chinois que de redoutables expansionnistes vietnamiens pro-soviétiques"), de détourner quelque peu le regard durant ces trois années de malheur...

Suffisamment étonnante, brillamment cultivée, toujours efficace, une belle réussite dans ce genre parfois risqué...

"Ponchaud [NDC : le missionnaire catholique présent à l'époque au Cambodge qui fut le tout premier à dénoncer la folie des Khmers Rouges, ici interviewé en 2010] lève les bras au ciel. Les luttes sont sociales et environnementales. C'est le désastre naturel et l'impossibilité de toute contestation. "Que restera-t-il du Cambodge dans dix ans ? Les autorités cambodgiennes ont vendu toutes les forêts, ont bradé des concessions énormes aux étrangers. Les Cambodgiens sont dépossédés de leurs propres terres, avec le cortège de spoliations, d'expulsions. Les affres du présent comptent bien plus pour les Khmers que les tragédies d'il y a trente ans." Toute dénonciation des injustices est impossible à cause du passé khmer rouge. Devant la moindre revendication d'équité, on brandit la menace du retour au communisme. "On peut dénoncer les massacres et exactions en tous genres des Khmers rouges, mais à part Ieng Sary, aucun d'entre eux ne s'est enrichi, ni n'a placé un magot à l'étranger. C'étaient des nationalistes intransigeants et utopiques. On ne peut en dire autant des dirigeants actuels, qui dépècent le pays à leur propre profit." Ces dirigeants sont en majeure partie d'anciens cadres khmers rouges ayant appliqué les préceptes de l'Angkar. Ponchaud soutient l'idée de Sihanouk : il faut en finir, incinérer les ossements des deux musées, organiser une cérémonie bouddhiste. La gestion du charnier de Choeung Ek est aujourd'hui sous-traitée à une société japonaise qui vend des billets pour la visite. Ponchaud semble se dire qu'il faudrait ici une bonne révolution."

 

Libraire du mois : Jean-François Peyret

Aurélien BELLANGER : La théorie de l'information

Marcel COHEN : A des années-lumière

Jean-Christophe BAILLY : Le parti pris des animaux

Thomas BERNHARD : Goethe se mheurt

Peter HANDKE : Mon année dans la baie de personne

Jean-Luc GODARD : Allemagne neuf zéro

Enrique VILA-MATAS : Le mal de Montano

 

 

Dux yuans un kilo de concombres

Celia Levi a séjourné un an à Shanghai pour améliorer son chinois, la langue de sa mère. De ce séjour est né ce roman, un récit sur la disparition de la Chine d’avant et sur la cruauté de nos sociétés contemporaines entièrement soumises au pouvoir de l’argent.

Xiao Fei vit avec sa vieille mère, qui devient attachante en devenant sénile, ses deux sœurs Mei Mei et Bei Bei, et son neveu, rivé jour et nuit à son ordinateur, dans un quartier insalubre de Shanghai voué à la destruction.

Xiao Fei, rêveur désœuvré et immobile, est incapable d’agir dans ce monde qui lui échappe ; alors il échafaude des rêves de grandeur ou d’amour -être reconnu comme un lettré, admiré pour ses calligraphies ou en tant que héros résistant face aux spéculateurs qui menacent le quartier, être aimé de sa cousine exilée en Amérique et qui revient en Chine pour étudier la langue-, et il oscille entre ses fantasmes et la colère ou l’humiliation de ne rien accomplir.

"Il ne savait pas de quoi il faisait partie, de rien sûrement, il n’était ni un prolétaire ni un bourgeois. Il sentait pourtant son âme tendre à de grandes actions, à de grandes idées."

Avant l’arrivée des communistes au pouvoir, ses parents étaient des lettrés, déchus au moment de la Révolution culturelle. Xiao Fei se rêve en grand homme de cette Chine d’avant imprégnée de culture et respectueuse de la nature, le pays de son enfance et de la grandeur de son père, tandis qu'il en voit les dernières traces disparaître sous ses yeux.

"Tandis qu'il rêvait Xiao Fei aurait voulu être sur la barque de son enfance, une longue barque fine qui l'aurait ramené sur cette rivière intacte, il aurait regardé les poissons, les algues, la nature lui souriant. Aujourd'hui se disait-il, il ne devait rien en rester, si ce n'était une rive boueuse où les usines pétrochimiques et les incinérateurs crachaient leurs déchets radioactifs."

Alors que ce monde s’émiette, encerclé par les pelleteuses et les spéculateurs, le dernier rempart de la tradition reste la cuisine, jusqu'à ce que même les aliments deviennent inaccessibles (Dix yuans le kilo de concombres), au fur et à mesure de l’écrasement des plus modestes par la société marchande.

"Les raviolis étaient particulièrement réussis, le jus était abondant, il brûlait la langue et se répandait délicieusement dans la gorge. La pâte était délicate, elle glissait entre les baguettes. C'est cela le bonheur, manger de bons xiaolongbao, le reste n'a pas d'importance. Il pensa à la peinture, aux stèles, à l'Histoire, et se souvint que son père lui avait appris que le bonheur ne pouvait venir des parties basses du corps mais du cœur et de l'esprit."

Xiaolongbao : raviolis à la vapeur, spécialité shanghaienne.

Dans la brume électrique

L'orage n'est jamais loin à New Iberia, en Louisiane, dans les marais qui bordent le golfe du Mexique, et les rêves, la folie, l'apathie ou la mélancolie des hommes semblent être intimement liés aux humeurs de la nature.

Dave Robicheaux, super-flic, au passé néanmoins chargé en coups durs et en alcool, y enquête sur le meurtre d'une jeune femme. Un autre corps va resurgir, celui d'un noir assassiné 35 ans auparavant dans le bayou. Est-ce le corps de l'homme qu'il a vu être lynché autrefois ? Y a-t-il un lien entre ces meurtres et lequel ? Témoin impuissant d'un nouveau meurtre qui le visait, un moment mis en cause par la police, Dave Robicheaux est en proie à des hallucinations de plus en plus fréquentes et réalistes avec des soldats confédérés, hallucinations pendant lesquelles les batailles confédérées et son enquête s'entremêlent dans une sorte de continuum.

« Lorsque je m'éveillai de mon rêve, la grisaille du ciel était pleine d'une douzaine de ballons à air chaud, peints aux couleurs criardes des chariots de cirque, leurs ombres indistinctes venant zébrer toits de grange, chemins de terre, maisons en bardeaux, bazars, groupes de vaches, bayous en méandres, jusqu'à ce que les ballons eux-mêmes ne soient plus que de petites taches dans le lointain au-dessus de l'horizon d'un vert estival aux abords de Lafayette. »

Une ambiance très particulière, qui laisse une trace durable.

2666

Lire 2666 de Roberto Bolaño est un petit défi.

Écrire sur 2666 est un défi beaucoup plus grand, tant ce livre est un monde, comme s'il avait l'ambition et réussissait à englober l'humanité et la littérature en un seul livre.

A travers la recherche de l'écrivain invisible Benno von Archimboldo par quatre universitaires européens qui lui ont consacré leur vie, on aboutit au Mexique, à Santa Teresa, ville où des centaines de crimes de femmes sont commis et non élucidés, inspirés par les crimes réels de Ciudad Juarez.

Santa Teresa est le centre de gravité de ce livre, le lieu vers lequel tous les personnages convergent.

2666 est l'humanité. Comme dans la vie, certains personnages restent et d'autres passent, et on ne le sait pas quand on les croise pour la première fois. Ni pour la dernière fois. 2666 nous fait parcourir le vingtième siècle européen avec la vie d'Archimboldi, nous emmène d'Europe au Mexique, nous fait errer. 2666 contient en lui l'errance, le désœuvrement et le spectacle de la folie. Avec la longue litanie des crimes de Santa Teresa décrits de façon froide, clinique, on est dans la déshumanisation des crimes qui ouvre la porte de l'horreur.

2666 est la littérature, et on a parfois le sentiment que le livre ne parle que de lui-même.

« ... son ancien collègue autrichien, qui préférait nettement, sans discussion, l'œuvre mineure à l'œuvre majeure. Il choisissait "La métamorphose" plutôt que "Le Procès"..., "Un cœur simple" plutôt que "Bouvard et Pécuchet"... Quel triste paradoxe, pensa Amalfitano. Même les pharmaciens cultivés ne se risquent plus aux grandes œuvres imparfaites, torrentielles, celles qui ouvrent des chemins dans l'inconnu. Ils choisissent les exercices parfaits des grands maîtres. Ou ce qui revient au même : ils veulent voir les grands maîtres dans des séances d'escrime d'entraînement, mais ne veulent rien savoir des vrais combats, ou les grands maîtres luttent contre ça, ce ça qui nous terrifie tous, ce ça qui effraie et charge cornes baissées, et il y a du sang et des blessures mortelles et de la puanteur. »

2666 est un continent, un océan, un grand livre.

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