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Actualités

L'image dans le tapis

La nouvelle de James qui immortalisa une lecture possible du regard critique, et le sens des "quêtes d'une vie"...

Cette longue nouvelle de 1896, pourtant célèbre, m'était inconnue jusqu'à ce que Pacôme Thiellement l'utilise comme une référence-clé dans son magistral Les mêmes yeux que Lost.

En une petite centaine de pages, Henry James règle à la fois, avec la finesse qui le caractérise, un "compte" avec le métier de critique littéraire, pris entre exégèse parfois déraisonnable, charlatanisme et admiration sincère, et avec la notion même de "quête structurante" à l'échelle d'une vie (d'où l'intérêt manifeste de cette œuvre pour le propos de Pacôme Thiellement).

Un jeune critique, devant remplacer un ami et confrère plus expérimenté au pied levé, se retrouve accidentellement dépositaire d'une confidence d'un grand auteur : son œuvre encensée, d'une dizaine de romans, contient une trame globale qu'aucun lecteur ou critique n'a encore jamais découverte. Dès lors, le jeune critique, puis son ami lui-même et la fiancée de celui-ci, consacrent une énergie inlassable et dévorante à la découverte de cette "image dans le tapis"...

J'avais écrit quelques articles et j'avais gagné un peu d'argent et pour tout dire, j'en étais peut-être même déjà arrivé au point de commencer à penser que j'étais plus fin critique que mes aînés ne feignaient de le croire. Pourtant, si je mesure le chemin que j'ai parcouru, ce qui n'est qu'une manie car ce chemin n'est pas encore bien long, je dois avouer que tout a vraiment commencé pour moi du jour où George Corvick est entré dans mon bureau, essoufflé et contrarié, pour me demander un service.

Sans nouvelles de Gurb

Modernes Micromégas, deux extra-terrestres sont lâchés dans le feu de la Barcelone des années 80. Hilarant.

Publié en 1991, ce très court roman (120 pages) d'Eduardo Mendoza est franchement hilarant, quasiment du début à la fin.

Utilisant la technique ancestrale du regard venu d'ailleurs, chère au Voltaire de L'ingénu et de Micromégas, ou au Montesquieu des Lettres persanes, l'auteur plonge deux extra-terrestres dans la fournaise du Barcelone de la Movida des années 80. L'un des deux disparaît rapidement, et c'est le journal méticuleux du second, parti à sa recherche, qui constitue l'objet du roman. Occasion rare d'innombrables jeux de mots et de situations pétries de culture pop et cinéphile, et d'une satire légèrement déjantée de la société espagnole, voire occidentale...

Le 9 de ce mois.
7 h 00 Conformément aux ordres donnés (par moi), Gurb se prépare à prendre contact avec les formes de vie (réelles et potentielles) de la région. Étant donné que nous voyageons sous une forme incorporelle (intelligence pure - facteur analytique 4800), je décide qu'il adoptera un corps analogue à ceux des habitants de la zone. Objectif : ne pas attirer l'attention de la faune autochtone (réelle et potentielle). Après consultation du Catalogue Astral Terrestre Indicatif des Formes Assimilables (CATIFA), je choisis pour Gurb l'apparence de l'être humain dénommé Madonna. (...)

7 h 23 Gurb est invité par l'être à monter dans son moyen de locomotion. Il demande des instructions. Je lui donne l'ordre d'accepter la proposition. Objectif fondamental : ne pas attirer l'attention de la faune autochtone (réelle et potentielle).

7 h 30 Sans nouvelles de Gurb.

8 h 00 Sans nouvelles de Gurb. (...)

20 h 30 Sans nouvelles de Gurb.

Le 10 du même mois.
7 h 00 Je décide de partir à la recherche de Gurb. Avant de partir, je dissimule le vaisseau pour éviter toute découverte et inspection de celui-ci par la faune autochtone. Après consultation du Catalogue Astral, je décide de transformer le vaisseau en corps terrestre connu sous la dénomination d'appartement familial, dupl., chauf. centr., liv., 3 ch., 2 s. de b., cuis. Terrasse. Piscine ds imm. Pkg. 2 pl. Facil. crédit max. (...)

8 h 00 Je me matérialise à l'endroit dénommé carrefour Diagonale - Paseo de Gracia. Je suis écrasé par l'autobus n°17 Barceloneta - Vall d'Hebron. Je dois récupérer ma tête qui est allée rouler à la suite de la collision. Opération malaisée du fait de l'affluence des véhicules.

8 h 01 Écrasé par une Opel Corsa.

8 h 02 Écrasé par une camionnette de livraison. (...)

Exécution !

Grande claque littéraire déjantée où un adolescent écrit un scénario "fou" tandis que son père attend l'exécution.

Le second roman de Mark Leyner, publié en 1998, et publié en français en avril 2012, constitue un moment de pur bonheur débridé.

Le jeune Mark, treize ans, assiste à l'exécution de son père par injection létale. Bien que raisonnablement contrit, il est tout de même un peu pressé, car il doit rendre en urgence un travail : un scénario, qu'il n'a pas encore même ébauché, mais qui a déjà remporté un prix littéraire particulièrement juteux, grâce au talent de son agent. Las, le père résiste à l'injection létale, et se voit donc logiquement condamner à l'EDENJ (Exécution Discrétionnaire de l'État du New Jersey), qui le voit donc désormais sous l'épée de Damoclès d'un tirage au sort quotidien décrétant que, ce jour-là (que ce soit le lendemain ou dans trente ans), les forces de sécurité peuvent l'abattre à vue, sans souci d'éventuels dommages collatéraux...

C'est le point de départ d'un complexe récit de la part de Mark, qui enchevêtre inexorablement sa narration personnelle, son scénario écrit en urgence, sa critique déjà écrite du film qui serait tiré du scénario, le tout avec l'aide de la directrice du pénitencier, au cours d'une mémorable partie de défonce et de jambes en l'air, saupoudrée, comme l'ensemble des différents récits entremêlés, de grosses gouttes de synchronisation musicale rock échevelée...

- EDENJ - exécution discrétionnaire de l'État du New Jersey.
- Je crois avoir lu un truc là-dessus dans ELLE, dit papa. C'est un peu comme une fatwa facultative.
- Le point que nous aimerions préciser aux relaxés concerne l'indétermination, reprend le superintendant. Vous vivez votre vie, vous suivez gaiement votre train-train, et soudain un matin vous vous réveillez pour découvrir un nain accroupi sur votre poitrine qui tranche habilement vos artères carotides avec deux étoiles ninja. Ou vous vous rendez en avion à Orlando, Floride, en lisant, hilare, les "Confessions" de saint Augustin, et pendant ce temps, dix mille mètres plus bas, un policier de la route du New Jersey sort de son véhicule, s'agenouille sur le bas-côté de la I-95, épaule un lance-missiles antiaérien et réduit votre 727 en étrons volants - et pffiiouu.


Un livre qu'on souhaiterait citer quasiment in extenso, tant les moments hilarants et néanmoins vertigineux, fourmillant de références de culture pop comme de culture savante, joyeusement malaxées, sont présents presque à chaque page ! Et une belle prouesse d'édition et de traduction, pour laquelle on se doit de remercier Lot 49 et Claro.

Sur les nerfs

Une série d'instantanés sauvages des rues de Los Angeles, par un éducateur spécialisé aux 20 ans d'expérience dans les quartiers "difficiles".

Premier roman d'un éducateur de rue des quartiers difficiles de Los Angeles, publié en 1995 et traduit en français début 2012, Sur les nerfs se présente comme un féroce assemblage d'instantanés, de scènes prises sur le vif, de brefs accès de sauvagerie, de désespoir ou de sordide, dont surgit par instants une révolte ou une rédemption.

Quand j'ai flingué Paul, c'était pour son bien. J'avoue que je lui ai tiré à la base du crâne. J'étais triste qu'il n'y ait pas d'enterrement, même si, de toute manière, j'aurais jamais pu y aller. J'ai un boulot maintenant, je suis instituteur à Temecula. Tina et moi, on a acheté une belle petite maison, là-bas. La plupart du temps, on est contents, même si elle m'appelle encore Paul par moments, au beau milieu de la nuit et quand on fait l'amour.

(...) Bobby s'est mis à vendre des cachetons. Il s'est fait un paquet. Il s'est tapé Theresa alors que personne d'autre y arrivait. On n'a jamais compris pourquoi, mais il a jamais vendu que des cachetons. Et puis un jour, il s'est fait coincer. Un type avec qui il dealait depuis un bout de temps. Il l'a fait monter dans sa caisse. Le mec avait tout un tas de cachetons. Bobby payait 16 000 dollars - cash. Les flics ont encerclé la caisse. D'après lui, il y avait huit flics et ils braquaient tous leur flingue. Ils ont saisi le pognon et les cachetons. Bobby a pris six ans, mais il est sorti au bout de deux et demi.

Entre Jean-Marc Agrati et Eric Miles Williamson, entre recherche de la sortie et inévitable abandon, 120 pages de rue, de poésie et d'absurde qui frappent là où ça fait toujours aussi mal.

Grandeur et décadence d'un parc d'attractions

Sept nouvelles acérées de la décadence, de celle d'un parc d'attractions vintage à celle d'un pays entier...

Premier recueil publié en 1996 par George Saunders, publié en France en 2001, il comprend sept nouvelles subtilement liées les unes aux autres par une toile de fond et un certain nombre d'indices disséminés.

La longue nouvelle finale Bountyland (100 pages) est la seule à spécifier un futur américain relativement proche, dans lequel mutations génétiques incontrôlées, décadence économique prononcée et sur-balkanisation des territoires ont conduit à la fois à une formidable régression sociale et culturelle, et à des destins individuels hachés, brisés, entre profiteurs cyniques et survivants désabusés. L'errance du héros dans ce monde mourant est d'ailleurs au passage infiniment plus poignante et mieux mise en scène que le largement laborieux La route de McCarthy...

La nouvelle-titre, Grandeur et décadence d'un parc d'attractions, qui ouvre le volume, est sans doute celle qui plante le décor avec le plus de brio : dans cette reconstitution de l'époque de la guerre de Sécession, propriétaires et dirigeants indélicats exploitent jusqu'au bout de la nuit des employés qui se raccrochent à leurs dernières bribes de salaire pour survivre au chaos environnant, inventant chaque jour des bricolages désespérés pour maintenir en fonctionnement au moins minimal leurs machineries, techniques et humaines, qui se délitent lentement mais sûrement, et éviter que les limousines blindées des riches visiteurs - ou les cars sécurisés d'un système scolaire et culturel tournant désormais à vide - ne se détournent définitivement de l'endroit, qui serait alors livré à la déréliction finale, et aux gangs de gamins des environs, tagueurs, voleurs, violeurs et assassins à l'occasion... Extraordinaire prétexte pour une succession de bévues hilarantes, de bassesses confondantes et de scènes aberrantes, nimbées d'un humour pince-sans-rire au fond bien glacé...

- Il a tiré sur Howie. Je veux qu'on le boucle.
- Il a tiré sur le livre de comptes d'Howie, répond Mr A. Il a tiré sur le livre de comptes d'Howie dans l'optique de sauver la vie d'Howie. Quoi qu'il en soit, ne coupons pas les cheveux en quatre. Si Sam est bouclé, nous le sommes aussi. Cela vous semble-t-il une expérience souhaitable ?
- Non.
- J'essaie simplement de vous expliquer que c'est le moment d'assimiler ce que nous savons déjà, et non de poignarder quelqu'un dans le dos. Nous avons compris la leçon, vous et moi. Nous avons grandi. Nous devrions en être reconnaissants, et la gratitude est la réponse appropriée. La gratitude et la certitude de ne jamais commettre une nouvelle fois cette erreur.
Il sort une Bible :
- Jurons sur cette Bible que nous n'embaucherons jamais plus un psychopathe pour une importante mission de sécurité.
Le téléphone sonne alors. Sylvia a croisé les données des admissions et a découvert qu'il ne s'agissait pas d'un gang mais d'un groupe d'ornithologues amateurs qui ont eu le malheur d'être des adolescents de sexe masculin et de s'éloigner un peu trop du sentier balisé.
- Aïe, s'étrangle Mr A. Ça peut devenir un paramètre sérieusement négatif.


Les cinq nouvelles étagées entre cette introduction tonitruante et le périple picaresque final renforcent chacune tel ou tel point de cette décrépitude grimaçante, dans laquelle l'humour absurde et abject du capitalisme "sur-tardif" se déploie dans toute sa splendeur... par un auteur qui déclare volontiers que s'il ne parvient pas à vous faire "rire et pleurer à la fois", il n'a pas tout à fait atteint son objectif...

Libraires du mois - Alice Abdaloff (mai 2012)

Joao GUIMARAES ROSA, Diadorim

François MAURIAC, Génitrix

Sigismund KRZYZANOWSKI, Souvenirs du futur

Laura KASISCHKE, Rêves de garçons

Arthur C. CLARKE, Rendez-vous avec Rama

Junichiro TANIZAKI, La clef

Mark TWAIN, Les aventures de Huckleberry Finn

Elias KHOURY, La porte du soleil

L'attente du soir

Un roman bouleversant, poétique et lumineux.

Parce qu'il y a d'abord trois enfances : Giacomo, qui baigne dans la lumière du cirque et l'amour de ses parents, Mademoiselle B. qui grandit sous un regard parental inhumainement froid, et l'enfant qui survit dans un terrain vague. Ils sont trois, le directeur de cirque, la femme grise, l'enfant artiste. Trois vies coupées du monde, trois regards, trois chemins qui convergent, chacun à leur rythme.

Parce que c'est triste et beau, et dans ce roman l'un ne va jamais sans l'autre. A l'enfance heureuse se mèle la tristesse du temps qui passe et la fatigue de la vieillesse, à l'absence d'amour maternel répond le regard d'un nouveau-né, dans la violence d'une vie sauvage germe le talent d'un artiste.

L'attente du soir, paradoxalement, c'est l'attente de la lumière : celle qui se fait une place petit à petit dans la vie de chacun des personnages, à coup de rêve, d'histoires, ou de peinture. C'est aussi les lumières du cirque, qui en s'allumant font place à la magie...

Un très beau roman, qu'on commence les dents serrées, puis qu'on lit avec une boule dans la gorge, et enfin les larmes aux yeux. Beau et émouvant. Emouvant et beau. 

 

[et Charybde 3 approuve...]

La trilogie babylonienne

Visite échevelée d'une moderne Babylone, au montage serré, où les destins tourbillonnent avec une sombre joie.

Ce triptyque de 2009 de Sébastien Doubinsky (dont la première partie, La naissance de la télévision selon le Bouddha, avait été publiée en 1995) nous plonge au cœur d'une moderne Babylone, dont un montage serré de plans vifs nous révèle rapidement les facettes : sauvage guerre humanitaire en Asie, criminalité galopante, concurrence exacerbée entre médias pour la chaleur du scoop, persistance des rêves et des aspirations malgré la déliquescence,... Comme si la substance du Tous à Zanzibar de Brunner avait été filtrée, condensée et épurée pour parvenir à son essence...

Ils leur avaient dit :
- Nous allons défendre les valeurs essentielles de notre culture. Nous allons combattre pour les intérêts économiques majeures de l'Occident. Nous allons combattre pour le droit d'avoir des boissons gazeuses dans nos frigidaires, et de l'essence dans les réservoirs de nos voitures.
Non, en fait, ils ne l'avaient pas vraiment dit comme ça, mais personne n'était dupe. Enfin, pas lui, en tout cas. Les dés étaient pipés depuis le début. Que lui restait-il à faire d'autre, sinon compter ?
Il avait inventé de nouvelles équations, avec de multiples paramètres entrant en ligne de compte : la durée des missions, la distance des cibles, le nombre de corps divisé par le temps passé sur le terrain d'opérations... Il avait des chiffres. Il avait des diagrammes. Tout cela était perdu maintenant, brûlé avec son sac à dos par les balles au phosphore. S'il était resté encore un peu là-bas, il aurait pu commencer à tirer les conclusions de son travail... Un an de patience, à relever systématiquement toutes les données auxquelles il avait directement accès - et pour cause ! -, un an de perdu en quelques secondes. Seule l'absurdité de tout cela demeurait à présent.


C'est en extrayant quelques personnages choisis au sein du bourbier que les deux parties nouvelles, Taureau jaune (où un serial killer est pourchassé par un commissaire prodige, fatigué, mais comme "aidé" par les rêves d'un Tim Powers sous amphétamines) et Les jardins de Babylone (où le statut marchandisé ultime de la littérature et de l'assassinat légalisé donnent les deux clés manquantes et provisoirement finales), nous permettent d'atteindre une vision totale de cette société abyssale, pourtant simple "développement" de la nôtre.

Aujourd'hui, c'étaient plutôt les ouvrages d'anthropologie et de philosophie qui l'attiraient. D'autres poèmes, d'autres mystères cristallisés autour du jeu des questions et des réponses... Mais Valentino était un bon poète, et il vivait selon les contraintes obscures de sa passion.
Tout avait un sens, selon lui. Les mots avaient un rôle crucial, séparant, divisant le monde entre le bien et le mal et définissant l'écart entre ces parallèles. C'était, selon lui, la mission commune aux écrivains et aux policiers. Il écrivait des tas de choses là-dessus et, franchement, il semblait obsédé par ce thème.
C'étaient de bons poèmes malgré tout, même s'ils ne changeraient jamais rien à ce foutu monde. À vrai dire, c'était cela que Ratner respectait le plus chez son jeune partenaire : son attachement à une passion inutile.
Cela demandait du courage, de nos jours.


Le propos est servi par une écriture serrée, subtilement ironique, jouant avec les angles de vue autant qu'avec un personnage de narrateur pirandellien, et au total plutôt éblouissante.

Actualités du 15 au 30 avril

Une belle rencontre et une "grosse" soirée cette quinzaine :

- le vendredi 20 avril, Alice ABDALOFF sera notre libraire invitée, au titre du mois de mai, et viendra vous présenter sept de ses livres favoris. Chroniqueuse de choc de l'émission de radio culte La Salle 101, Alice Abdaloff allie des goûts éclectiques à des opinions souvent radicales. Ses choix nous intriguent donc par avance. Venez nombreuses et nombreux les découvrir ce soir-là ! http://www.salle101.org/

- le vendredi 27 avril, Charybde vous rejoue Littérature et rock, comme en octobre dernier. Maud Lübeck, une jeune artiste que l'on apprécie énormément, viendra fêter avec un showcase la sortie de son premier album, La fabrique, dont Mélanie Fazi parle très bien sur Le Cargo : http://lecargo.org/spip/maud-lubeck/la-fabrique/article7874.html . Jean-Luc Manet (dont la nouvelle rock Haine 7 est une de nos grands favoris du moment), Dominique Forma (dont le noir Skeud, sur l'univers du disque pirate, avait enchanté les fans de La Spirale en novembre dernier), Scarlett Alainguillaume (dont la nouvelle Le seuil, dans le recueil Douze cordes, utilisant subtilement une chanson de Lynyrd Skynyrd, nous a réjoui) et Malvina Majoux (dont Le schnark de Levallois, dans le même recueil, est une incroyable réussite) nous feront le plaisir d'être là pour discuter et dédicacer.

Ce sera aussi l'occasion pour les libraires de partager avec vous leur engouement pour quelques livres rock qu'ils adorent, et pour le label ami Volvox Music, de vous présenter ses principaux artistes, car Charybde vous proposera désormais aussi leurs disques.

Pour goûter l'ambiance enfiévrée de Charybde ce soir-là, venez nombreuses et nombreux !

Le voyage imaginaire

Réédition d'un livre-culte de 1933 : la révolution russe dans le regard et l'imagination débridée de deux enfants.

Grâces soient rendues aux éditions Attila d'avoir exhumé et brillamment réédité cet étonnant livre de 1933, publié pour la première fois en français en 1937.

Entièrement raconté du point de vue de deux enfants vivant à Pokrovsk-sur-Volga (aujourd'hui appelée Engels, la ville faisant face à Saratov), nous suivons avec bonheur le quotidien d'une famille russe en 1917-1919, des premières semaines de la révolution de février à la guerre civile. Avoir un père médecin, juif, au milieu des Allemands de la Volga, en plein bouleversement social et politique, produit un filtre étonnant pour les deux garçons, qui se sont inventé un pays imaginaire, la Schwambranie, dans lequel ils projettent, à longueur de soirées et de consignes forcées par les punitions, même bienveillantes, l'ensemble de leurs réflexions et de leurs confrontations à la réalité.

Sous une apparence de "livre pour enfants" (ce qu'il ne fut à aucun moment), Cassil réalisait en fait une réflexion rusée sur le monde comme il alla à l'époque, avec un réalisme qui lui valut une longue période de non-réimpression en URSS, avant d'être ré-accepté en 1955, expurgé de certains des témoignages les plus rudes sur la période révolutionnaire et pré-révolutionnaire (l'antisémitisme latent de la population russe, en particulier, qui apparaît cruellement au fil des pages de l'édition originale).

Un livre étonnant, plaisant et bien pensif à la fois.

- Eh bien ? demanda le commandant, elles vont ?
- Elles vont, répondit papa, furieux.
- La gauche ne serre pas ? demanda le commandant avec sollicitude. Non ? Vous voyez, je vous le disais bien qu'elles ne serreraient que les premiers jours et qu'après elles se feraient.
- Je dois vous dire franchement, camarade Oussychko, dit papa, que la cordonnerie vous réussit mieux que la Révolution.
- Ça dépend du point de vue, camarade docteur, répondit le commandant en riant, vos bottines c'est vous qui les avez commandées et la Révolution, excusez-moi, n'a pas été faite à votre pied. Il se peut qu'elle serre un peu par endroits.

 

[...approuvé par Charybde 4]

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