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Actualités

Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps

Huit nouvelles de Laurent Queyssi, belles relectures de thèmes SF classiques ou bienvenues inventions délirantes !

Paru début 2012, ce recueil de nouvelles de Laurent Queyssi en regroupe sept parues précédemment en revue ou en anthologie, toujours délicates à rassembler pour le lecteur non spécialisé, et une inédite.

On peut ainsi de délecter d'une savoureuse variation sur le No Logo de Naomi Klein, drôle mais aussi sensiblement plus grave qu'il n'y semble au premier abord (Sense of Wonder 2.0), d'une relecture astucieuse du thème des "innombrables univers parallèles", en même temps qu'une méditation sur le temps, la richesse et l'ennui que ne renieraient pas les grands écrivains de l'immortalité (Fuck City), d'un amusant post-scriptum au mythe de Fantômas (La scène coupée), d'un hallucinant entretien avec l'auteur Jane Dick, dont le frère jumeau, Philip, mourut à l'âge d'un mois (707 Hacienda Way), une très belle métaphore réflexive sur la vie réelle et la vie virtuelle, la curiosité et le courage (Rebecca est revenue), une épique transfiguration des Pixies comme héros et héraut de la lutte contre les mauvais extra-terrestres secrets, et pour rien moins que le salut de l'humanité par le (bon) rock (Planet of Sound), et enfin une réécriture, nerveuse et poétique, du thème immémorial en SF qu'est l'arche / vaisseau générationnel, pour un hommage appuyé à l'art de l'invention romanesque et au blues texan et louisianais des années 30 (Nuit noire, sol froid).

La nouvelle inédite, proposant une explication crédible au décevant final de la série Lost, et nous éclairant de manière décisive sur la manière dont se résolvent les conflits entre scénaristes de séries à Hollywood, est un délicieux morceau de bravoure, où tout commence et finit en effet par Pac-Man (Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps).

- On nous a volé notre futur. (Sense of Wonder 2.0)

Mei partageait son sentiment, elle vibrait à l'unisson de cette supplique intense de passion affligée. Elle se sentait à sa place, à présent. À l'endroit exact où elle aurait dû naître. Elle s'accroupit et toucha le sol. Il était froid. (Nuit noire, sol froid)

Je ne sais pas si c'est de me retrouver dos au mur, de sentir sur ma nuque le souffle édenté de la mort, mais c'est à ce moment-là que tout a changé. J'ai senti une transformation. Subite. Brutale. Fondamentale. Comme un changement d'enveloppe. Comme si on m'avait arraché mon humanité et qu'on m'avait permis de réfléchir en 0 et 1 et plus en "je t'aime", "tu me manques" et "je ne me suis jamais senti aussi seul et je vous déteste". (Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps)

Libraires du mois - L'Intermède (mars 2012)

Ken KESEY, Vol au-dessus d'un nid de coucou

Agota KRISTOF, L'analphabète

Brina SVIT, Moreno

Albert COHEN, Belle du seigneur

Henri LOPES, Le chercheur d'Afriques

Jane AUSTEN, Mansfield Park

Francis BERTHELOT, Rivage des intouchables

Actualités du 20 février au 20 mars

À peine passée notre soirée Littérature russe contemporaine, où nous avons pu vous présenter 7 auteurs russes que nous aimons, ainsi que le duo WOODWISE (voix + violoncelle), les événements des prochaines semaines devraient vous enchanter à nouveau :

- le vendredi 24 février, notre libraire invité du mois de mars, le collectif culturel L'Intermède, vous présente 7 de ses livres favoris.

- le vendredi 2 mars, Olivier BORDAÇARRE, l'auteur de l'excellent La France Tranquille, viendra dédicacer, et improviser quelques lectures d'extraits en compagnie de trois musiciens (voix, basse et percussions) !

- le vendredi 9 mars, nos amis de l'association FONDU AU NOIR viendront présenter leurs "thrillers" préférés.

- le vendredi 16 mars, Laurent KLOETZER, que nous aimons beaucoup, et dont vous avez été nombreux à apprécier le CLEER l'an dernier, viendra présenter et signer le tout récent dernier-né de ses romans, Petites morts.

- le samedi 17 mars, "NO MORE PEOPLE" : pour discuter autour du "jeu avec les célébrités dans la littérature", trois auteurs que l'on adore : Arno BERTINA, Arkady KNIGHT et Mathieu LARNAUDIE (qui pourront ainsi évoquer Johnny Cash, Roger Federer, Keira Knightley ou encore Alan Greenspan, issus de leurs romans respectifs) - tandis que Vincent GESSLER et son Mimosa seront tout près, chez Scylla. Une riche après-midi en perspective, non ?

On se réserve la possibilité de vous adresser des flashs d'information dédiés, via le site ou via notre newsletter Abonnés, en cas d'ajouts au programme !

À très bientôt chez Charybde !

Reconquêtes

À Los Angeles, un terrain "en forme d'États-Unis" confronte cinq personnages à leurs mémoires. Magnifique.

Paru en août 2011, le quatrième roman du philosophe du langage Fabrice Pataut intrigue d'abord, puis rapidement, séduit et enchante, laissant en place une curieuse sérénité rêveuse au moment de le refermer.

Cinq personnages à Los Angeles, en 2004, au moment où les forces américaines patinent en Irak, et où les décapitations d'otages occidentaux semblent se multiplier. Une veuve d'un certain âge se retrouve sous les feux de l'actualité lorsque les médias réalisent que la forme de sa propriété reproduit exactement celle des États-Unis, y compris une parcelle distante figurant Porto-Rico et un terrain, en cours d'acquisition, situé exactement où devrait se trouver l'Alaska... Un agent immobilier, scrupuleux et dévoué, chargé de superviser cette acquisition... Son assistante, amour possible qui mûrit doucement au fil des mois... La grand-mère de celle-ci, survivante de la Shoah, achevant paisiblement sa vie à Jaffa / Tel-Aviv... Le propriétaire du terrain restant à acquérir, vieil ami et complice de la veuve, Russe d'origine, artiste et critique avisé...

En quelques semaines de récit, ces cinq protagonistes, deux ou trois de leurs proches, et surtout leurs fantômes personnels (époux décédé, sœur disparue, mère enfuie ou fils emporté jeune par un accident de voiture,...) dessinent une trame serrée de sentiments parfois immensément complexes traités avec simplicité et distance, de bienveillances réciproques et gratuites, mais aussi de secrets pesants et de complexes enfouis, pour aboutir à une sérénité finale digne des conclusions d'un grand film d'aventure... alors que l'on n'a guère quitté ce petit périmètre délimité par les excroissances de cette propriété symbolique.

Tour de force de réflexion et de sentiment autour des anges et des démons de la mémoire, servi par un style d'une rêveuse précision.

Kurzinovski remplit calmement les deux tasses.
«Je l'ai taillé à la main, ce terrain, monsieur Koons. Je l'ai tracé, projeté au crayon ici même, dans la pièce d'à côté, si vous voulez tout savoir, là où je peins. Je l'ai planté de conifères pour que la réalité corresponde à la carte de l'atlas emprunté à la bibliothèque municipale - lettre A, entre "Alabama" et "Arizona". J'ai détourné une rivière qui le traverse aujourd'hui d'est en ouest. Comment vous dire ? Je l'ai désherbé et replanté. J'en ai repris toute la bordure. Petit à petit, au fil des années, en grignotant des parcelles mitoyennes parfois minuscules. De la manière la plus légale qui soit, je vous prie de le croire. Je me suis toujours acquitté de mes impôts fonciers. J'ai toujours été un bon citoyen américain. Quelle que soit la manière dont vous tournez les choses, je l'ai dessiné. Plus qu'un bien immobilier, c'est un portrait de la terre qui m'a recueilli que je vais offrir à Madame Cunningham.»

Lost City radio

Dans un pays qui n'a pas de nom, qui pourrait être n'importe quel pays d'Amérique latine, marqué par une guerre civile que personne ne peut plus penser faute de mots... il reste des numéros, la désolation et une émission de radio.

Le récit commence par la rencontre entre Norma, l'animatrice de Lost City Radio, qui égrène à l'antenne les noms des disparus, et Victor, un garçon qui vient de la jungle avec la liste des noms de tous les siens. Dans la liste, il y a le nom de Rey, le mari de Norma.

Les souvenirs remontent alors, épars, liés au début de la guerre, une guerre dont on ne peut pas parler, menée par une organisation qui n'existe pas (ou peut-être que si ?), et des hommes qu'on n'a plus le doit de nommer. Dont Rey, aujourd'hui disparu.

Si dès le début le lecteur peut reconstituer rapidement les événements (la guerre, la risposte, la dictature, le rôle de Rey), on finit par comprendre que l'histoire n'est pas si simple : Rey est un menteur et les souvenirs de Norma et Victor ne coïncident pas.

C'est dans ce flou que le roman prend de l'ampleur, dans le décalage entre une guerre indistincte, dont les personnages n'ont ni vision d'ensemble, ni les mots pour la penser, ni les noms pour se souvenir, et sa présence en creux, bien réelle, dans les détails quotidiens, les cicatrices, les vies marquées.

La seule certitude est celle de la violence (un incendie, une prison) mais le plan, le dessein général, lui, se perd dans les diverses rumeurs. Les personnages peuvent être recrutés ou arrêtés sans trop savoir pour qui ils agissent réellement. Et au milieu des ces souvenirs d'une époque chaotique, il y a le quotidien d'après, plat, gris, entre solitude et oubli forcé.

 

 

La fille automate

Une Thaïlande se battant contre manque d'énergie, épidémies et monopole des multinationales agricoles : de la SF à son top !

Premier roman publié en 2009 (en ce début 2012 en France), La fille automate s'est vue d'emblée couronnée des prix Hugo, Nebula et Campbell, et inscrire sur la liste Time des 10 meilleurs livres de l'année.

Impressionnant succès critique, donc, et amplement mérité : l'Américain Bacigalupi, nourri de culture asiatique (chinoise tout particulièrement), réussit ici à capturer l'essence de l'esprit "cyberpunk" des années 80, en l'actualisant profondément à la hauteur des enjeux de ce nouveau début de siècle.

Dans un monde "post-peak oil", où l'énergie de base est désormais mécanique, stockée avec difficulté dans des piles à ressorts, tandis que les carburants fossiles sont d'une extrême rareté, et que les énergies renouvelables peinent à satisfaire la demande usuelle, le Royaume de Thaïlande, archétype, en un sens, de toutes les résistances anti-coloniales, se débat pour survivre, exposé aux épidémies et aux pestes agricoles, conséquences plus ou moins directes de la mise en coupe réglée de l'agriculture mondiale par les multinationales du génie génétique, qui continuent leurs tentatives d'expansion infinie... Résistance qui n'a toutefois rien d'idéaliste, et qui voit de multiples factions thaïes se déchirer, autour d'un affrontement emblématique entre ministère de l'Environnement et ministère du Commerce, entre des pays voisins livrés aux appétits délétères des entreprises (Birmanie), des ultra-religieux (Malaisie) ou des guerres anti-impérialistes à outrance (Vietnam)...

La scène d'exposition des 50 premières pages, autour d'un "accident industriel" dans une fabrique de piles de Bangkok, réussit ce miracle de style, de dynamique, de décor vivant déployé sans aucune lourdeur, qui nous renvoie aux grandes réussites, comparables, des débuts du Neuromancien de Gibson, du Câblé de Walter Jon Williams, ou encore du Samouraï virtuel de Stephenson.

Anderson met le noyau dans sa poche.
- Je vais en prendre un kilo. Non. Deux. Song.
Il tend un sac de chanvre sans même tenter de marchander. Quoi que demande la paysanne, ce serait trop peu. Les miracles ont la valeur du monde. Un gène unique qui résiste à une épidémie calorique oui qui utilise plus efficacement l'ozone fait augmenter tous les prix. S'il avait examiné le marché à cet instant, partout cette évidence lui serait apparue. Les allées bruissent de Thaïs achetant de tout, depuis les versions piratées du riz U-Tex aux variantes vermillon de volaille. Mais toutes ces denrées sont de vieilles améliorations, issues des manipulations d'AgriGen, de PurCal ou de Total Nutrient Holding. Les fruits d'une science ancienne, élaborée dans les entrailles des labos de recherche de la Convention Midwest.
Le ngaw est différent. Le ngaw ne vient pas du Midwest. Le royaume thaï est malin quand d'autres ne le sont pas. Il prospère tandis que des pays comme l'Inde, la Birmanie ou le Vietnam tombent comme des dominos, meurent de faim et mendient les avancées scientifiques des monopoles caloriques.

Libraires du mois - Antoine Bello (février 2012)

Jorge Luis BORGES, Fictions

Orson Scott CARD, La stratégie Ender

John LE CARRE, La taupe

Roger MARTIN DU GARD, Les Thibault

Mario VARGAS LLOSA, La tante Julia et le scribouillard

Agatha CHRISTIE, Le couteau sur la nuque

Brett Easton ELLIS, American psycho

Donatien Alphonse François de SADE, Les 120 journées de Sodome

Ayn RAND, La grève

Paul AUSTER, La musique du hasard

Chambre noire

"On dit que l'enfant sait de la lumière ce que l'insomniaque sait du sommeil introuvable, un rêve négatif."

Blois, 1885. Tableau : un déjeuner à la campagne. Bonne société, cadre impeccable, la mère et ses filles. Jeunes filles bien éduquées, parfaits objets décoratifs.

C'est dans ce premier chapitre que germe la graine de folie chez Constance, un des objets décoratifs sus-cités. Elle ne cessera de croître ensuite, de se répandre et se transmettre sur les générations qui suivront.

Lisbonne. 1986. Jorge, trois générations plus tard, se perd dans Lisbonne à la recherche d'un ami perdu de vue depuis longtemps. Connu de lui seul, spécialiste des rendez-vous manqués ou des apparitions à l'improviste, cet ami ressurgit de l'enfance et disparaît, lui laissant la carte de visite d'un lieu qui n'existe plus. Lui-même existe-t-il vraiment ?

Lisbonne et cette quête flottante rappellent un Antonio Tabbucchi et son  Nocturne indien.

Paris-Blois. 1986. Pendant qu'à Paris Milena, la compagne de Jorge, photographe, se perd dans la chambre noire de son ventre, et des souvenirs effacés de sa petite enfance. A fleur de peau, fascinée par l'obscurité, elle cherche dans les vieilles photos familiales un secret qui n'existe que pour elle... 

Entre eux et sur quatre générations, une histoire familiale d'un siècle marquée par une lente folie. Rien de grandiose mais les obsessions de chacun, les silences, les choix, les bons moments aussi... en vrac, comme une boîte de photographies d'époque, dont il faut refaire l'histoire et retisser les liens : cette femme-ci avec son enfant est la fille de cette jeune fille-là avec ses soeurs ; ce jeune homme est donc le grand-père de cette vieille femme...

L'écriture est belle, et le style un révélateur photographique, faisant surgir des contours ou des contrastes, une image en formation, plutôt qu'un sens pré-établi. Formes, sensations et réminiscences s'amalgament souvent sur un rythme délibérément lent, qui abolit le temps et flirte parfois avec le fantastique.

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