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Complications

Des nouvelles comme les rouages imbriqués d'une mystérieuse machine à explorer le temps

« Il plongea la main dans la poche de son blazer et en retira la Smith. "Une belle montre n’est pas seulement un instrument de mesure. Une montre particulière comme celle-ci peut ouvrir certaines portes." »

Impressionnante mécanique que les rouages subtils de ce roman-nouvelles paru en 2011 sous le titre original de "The silver Wind" : Pièces distinctes mais qui assemblées fonctionnent comme par magie, les six récits courts de "Complications" sont des variations autour de quelques personnages, dans lesquels horloges et montres jouent un rôle central, mystérieuses machines à explorer le temps, qui peuvent soit arrêter le temps, soit nous transporter dans des mondes parallèles mais étrangement reliés.

Martin Newland, personnage de fiction puis protagoniste, est fasciné par le passage du temps, et par les montres qui ponctuent des étapes importantes de sa vie. Ou plutôt de ses vies car au fil des nouvelles, il se démultiplie, hanté par la perte de sa sœur, de son épouse à moins que ce ne soit de son frère.
L’autre personnage central, le pivot est Andrew Owen (qui se transforme en Owen Andrews dans une des nouvelles), un nain habillé en Monsieur Loyal, un personnage au physique invariable, horloger inventeur et savant, celui qui fabrique et comprend les montres et les horloges, obscures et fascinantes machines transtemporelles.

«Je crois que c’est à ce moment que je pris ma décision de rechercher Owen Andrews et de découvrir la vérité sur lui. Je me dis que c’était parce que cette petite horloge avait été la seule chose à susciter mon intérêt depuis la mort de ma femme. Mais ce n’était pas tout. Quelque part au tréfonds de mon être je nourrissais le délirant espoir qu’Owen Andrews soit l’homme capable de faire revenir le temps en arrière.»

Et si le temps n’était pas un trait continu mais comportait des lésions, les traces qu’il laisse dans son sillage, les pertes des êtres chers ? Ou alors s’il formait un ensemble de possibilités simultanées, comme un tissage de fils aux intersections changeantes dont les motifs varient selon l’angle de vision ? Mais ne vous y trompez pas, le livre de Nina Allan est sans complications. On a simplement envie de ne rien en révéler.

Dans la première nouvelle, "Chambre noire", une jeune femme, Lenny, construit une maison de poupée sur mesure, fascinée par l’une d’elles, célèbre, et dont les pièces escamotables ne sont accessibles qu’une à une. Et le lecteur justement est celui qui a la chance, de pouvoir embrasser du regard tout le récit comme une maison de poupées magique, aux pièces interchangeables, et dont les petits habitants n’appréhenderaient pas l’ensemble, sauf peut-être un nain plus habile, plus rusé.

«Je trouvai une familiarité déconcertante dans certains détails de ses récits, et à plusieurs reprises j’eus la même impression qu’un peu plus tôt – que tout avait un sens plus vaste, mais qui m’échappait de justesse.»

Nina Allan nous prouve avec ce coup de maître que les livres peuvent être les plus belles machines transtemporelles.

Ulysse ou les constellations

Odyssée photographique sur les traces d'Ulysse en Méditerranée

Photographe installé à Marseille, enraciné dans le bassin méditerranéen, Franck Pourcel a entrepris un périple photographique sur les rives de la Méditerranée, de Marseille à Gibraltar, de Lampedusa à Beyrouth, de Thessalonique à Ramallah, couvrant des dizaines de lieux, quinze pays et trois continents.
Tourmenté par le mythe d’Ulysse et sur les traces de son odyssée, Franck Pourcel a pris des photographies frappantes et superbes, et qui mettent en lumière l’histoire et les enjeux contemporains, les conflits armés, la pêche, l’émigration, l’exil ou encore comment l’homme dénature l’environnement, avec le mythe comme borne, comme référent essentiel pour regarder le monde.

Avec ses images en noir et blanc ou en couleurs, Franck Pourcel tisse des liens, forme une cartographie de l’errance et des désirs des hommes, dans ce livre organisé en constellations : la constellation d’Ulysse comme fil d’Ariane, autour des étapes de son odyssée, puis la constellation des portes, des paysages horizontaux, des corps, des conflits, des dieux et des héros, de la pêche, de la vie ordinaire, de l’environnement, des insularités, des mobilités, des murs, et enfin la constellation heureuse.

En complément à ce livre-épopée, et parce que les images appellent des histoires, on a envie de lire ou d’offrir «Rue des voleurs» de Mathias Énard.

 

 

Terreur Apache

Toriano a pris les armes et s'est autoproclamé chef. Il a entraîné ses jeunes fanatiques sur le sentier de la guerre et sème la terreur en Arizona. Walter Grein, dit l'Apache blanc, se lance à sa poursuite.

C'est tout.

C'est puissant.

300 pages de cavale à travers les montagnes et le désert, et une escale à Mesa Encantada.

Grein est un tueur d'Apaches. Un mysogyne. Une brute épaisse. Ou pas du tout en fait. Quelqu'un qui sait la différence entre un Navajo et un Apache, qui les connait et est connu d'eux. Qui parle leur langue et sait leurs coutumes. Un romantique, aussi. Un homme d'honneur.

Watler Grein, c'est l'Ouest et ses paradoxes. Une équipe d'éclaireurs composée d'indiens renégats, d'un alcoolique, d'un muet difforme. Rebuts de la société blanche, ils évoluent à la frontière entre les mondes : la civilisation que représentent ces messieurs de Washington, la discipline représentée par l'armée, et enfin l'Ouest sauvage que représentent les indiens et le désert. Grein n'appartient clairement pas aux deux premiers et lutte férocement contre le troisème.

W. R. Burnett peint ici des paysages splendides, un soir qui tombe ou une aube qui se lève sur la roche rouge, une arrivée en ville ou une visite de nuit à la Réserve qui marquent les rétines avec une puissance cinématographique.

"Je vais attraper Toriano, reprit Grein. Je te le promets.
- Non, dit Coyote Rusé. Il ne faut pas l'attraper. Il ne faut pas le ramener. Meme si vous le mettez en prison, il aura encore une mauvaise influence sur les N'De. Un martyr, il deviendra. Il doit être tué."
Grein ne répondit pas.Il contemplait les herbes aromatiques posées sur le feu, qui se consummaient dans une pâle flamme bleue.
Et pourtant, reprit Coyote Rusé d'un air pensif, quand il mourra, ce sera notre mort à tous." Il se frappa la poitrine. "Nos esprits mourront. Le corps n'est rien, l'esprit est tout. Nous deviendrons des esclaves. Le peuple N'De peut-il devenir esclave, mon fils, et continuer à vivre ainsi ?
- Vivre en paix, ce n'est pas être esclave.
- Vivre perpétuellement en paix est un esclavage, dit Coyote Rusé. Ne pas pouvoir faire la guerre du tout est un esclavage. Mais d'après les signes et les augures du Faucon, tel est notre destin."

Une fin d'année qui pétille

Suite et fin du programme pour 2013.

Jeudi 21 novembre, nous aurons la joie de recevoir l'Américaine Vanessa Veselka, pour son premier roman Zazen. + d'infos

Jeudi 28 novembre, nous fêtons avec les éditions Antidata le lancement de leur nouveau recueil collectif, Jusqu'ici tout va bien, 12 nouvelles sur la phobie. + d'infos

Samedi 30 novembre, nous accueillons pour la quatrième fois l'équipe de choc des Palabres autour des arts. + d'infos

Vendredi 6 décembre, Julien Campredon, sera notre libraire d'un soir. + d'infos

Samedi 7 décembre en après-midi, Didier Graffet viendra dédicacer son superbe Steampunk. + d'infos

Jeudi 12 décembre, soirée Romanciers pluralistes avec Vincent Message. + d'infos

Jeudi 19 décembre, Pacôme Thiellement viendra nous parler de Pop Yoga, son dernier livre, et de pop culture au sens large. + d'infos

 

A noter qu'à partir du 9 décembre, la librairie sera ouverte 7/7 :

du lundi au vendredi de 12h à 19h30

le samedi de 10h à 19h30

le dimanche de 11H à 17h

N'hésitez pas à passer nous voir, nous serons heureux de vous conseiller pour vos achats de Noël.

 

A très bientôt, en Charybde ou en ligne !

Trois tristes tigres

Une formidable mosaïque pour dire le Cuba des années 50, dire le langage, dire la littérature.

Publié en 1966, le premier roman de Guillermo Cabrera Infante fut d'emblée un choc. Ce journaliste littéraire et cinéphile cubain né en 1929, de parents communistes,emprisonné deux fois sous le régime Batista, fut de la révolution castriste de 1959 à 1962 à la tête de l'Institut du Cinéma et d'une grande revue littéraire, avant que la déception, la disgrâce et le rejet du régime ne l'exilent d'abord comme attaché culturel à Bruxelles, avant de quitter définitivement Cuba en 1965.

Traduit en 1970 par Albert Bensoussan chez Gallimard, qu’est donc ce « Trois tristes tigres » (à part un terrible exercice de prononciation pour un Français) ? Tels des mousquetaires, les tigres sont en fait quatre (un écrivain, un acteur, un photographe et un musicien), associés à un mystérieux cinquième larron surnommé Bustrofedon. Quatre pour dire La Havane des années 50, son ambiance, ses bars, ses musiques, ses soirées enfumées jusqu’au petit matin, sa misère, ses touristes américains conquérants et méprisants, ses oppressions économiques et sociales… Quatre pour errer, se chercher et peut-être (ou pas) se trouver, à ces âges encore jeunes (mais plus adolescents) où l’on rêve de se forger un destin individuel, mais où l’on pense et sent le besoin – si l’on a un peu de cœur - d’une aventure collective. Quatre surtout, pour mettre en scène, autour du secret Bustrofedon, les deux véritables héros de « Trois tristes tigres » que sont le langage et la littérature.

Le langage d'abord : d'une grande admiration pour Joyce (à qui il sera souvent comparé), Cabrera Infante extrait une volonté d’échantillonner très largement l’ensemble des composantes dialectales, argotiques ou régionales de l’espagnol cubain, en profitant des acrobaties permises par sa trame, dans laquelle virevoltent de nombreux narrateurs occasionnels autour des principaux protagonistes, et de la figure de Bustrofedon, bien sûr, personnage qui, largement par accident, a voué sa vie aux jeux de langage quasiment oulipiens.

La littérature ensuite : parce qu’au fond, c’est d’elle dont il s’agit tout au long, et singulièrement de son apport au réel et à l’action. Les références cachées dans le texte, visibles ou plus discrètes, sont innombrables. Lorsque le même récit de la visite d’un couple de touristes américains est repris trois fois dans des tonalités différentes, ce n’est pas seulement le clin d’œil au Rashômon de Ryunosuke Akutagawa, c’est toute l’objectivité du point de vue et son impossible réalisation du fait des limites du langage de chacun qui sont mises en exergue. Et de même, avec un brio monumental, lorsque le récit de l’assassinat de Trotsky au Mexique est repris sept fois en pastichant sept grands écrivains cubains du XXème siècle.

"Trois tristes tigres" n’est pas un roman au sens encore un peu classique du terme, c’est une formidable mosaïque émouvante de tout ce qu’on peut faire en littérature lorsque l'on a imagination et talent…

"A la manière de José Marti, « Les petits coups de hache de rose » : « On raconte que l’inconnu ne demanda pas où l’on mangeait ou buvait, mais où était la maison fortifiée et sans secouer la poussière du chemin, il se rendit à sa destination, c’est-à-dire l’ultime refuge de Léon Fils-de-David Bronstein : le vieil éponyme, prophète d’une religion hérétique : messie et apôtre et hérétique tout à la fois. Le voyageur, le rusé Jacob Mornard, s’approcha avec sa haine magnifique du destin remarquable du grand Hébreu, au nom en pierre de bronze et au noble visage fulgurant de rabbin rebelle. Ce vieillard biblique avait un regard lointain et comme de presbyte, le geste de l’homme antique, le sourcil sévère et ce tremblement dans la voix qui révèle les mortels que le fatum destine aux éloquences profondes. Le futur assassin avait un regard trouble et la démarche incertaine de la malveillance : des ébauches jamais complétées, dans l’esprit dialectique du Saducéen, l’empreinte historique d’un Cassius ou d’un autre Brutus. // Ils furent bientôt maître et disciple et tandis que le noble amphitryon oubliait ses soucis et sa prudence, et laissait l’affection ouvrir une brèche de feu d’amour jusqu’à son cœur autrefois gelé de retenues, dans l’air creux et comme de noire nuit que portait le pervers à la gauche de son sein, se nichait, sinistre, lent, tenace, le fœtus de la trahison la plus ignoble – ou de vengeance maligne, car il y eut toujours, dit-on, au fond de son regard comme une secrète offense contre celui auquel, avec une simulation achevée, il disait parfois Maître avec la majuscule des grandes rencontres. On les vit souvent ensemble et bien que le brave Lev Davidovitch – ainsi pouvait l’appeler maintenant celui qui en réalité déguisait son nom de Mercader sous des lettres de créance mercantiles – multipliât les précautions - car il ne manquait pas, comme dans la tragédie romaine d’autrefois, le mauvais augure, l’éclair révélateur des prémonitions ou l’éternelle habitude de la méfiance – il accordait toujours audience seul à seul au visiteur taciturne et parfois, comme en ce jour funeste, suppliant et solliciteur. Il portait dans ses mains livides les papiers trompeurs et sur son corps et céruléen et maigre et tremblant, un macfarlane qui l’aurait dénoncé ce soir de canicule à un regard plus soupçonneux : la méfiance n’était pas le fort du révolté non plus que le doute systématique, la malveillance n’était pas dans ses habitudes. Au-dessous, la crapule portait un ciseau traître, l’herminette magnicide, la hache, et plus bas, son âme de hallebardier effectif du nouveau tsar de Russie. L’hérésiarque examinait confiant les prétendues écritures, quand l’autre assena son coup perfide et la hallebarde acérée alla se planter dans la noble tête neigeuse. // Un cri retentit dans l’enceinte claustrale et voilà qu’accourent les sbires (Haïti n’avait pas voulu envoyer ses noirs éloquents) dans la hâte et l’ardeur de l’arrêter. « Ne le tuez pas », a encore le temps de dire l’Hébreu magnanime et les partisans insolents respectent, cependant, la consigne. Quarante-huit heures de veille et d’espoir dure la formidable agonie du noble chef qui meurt en luttant, comme il avait vécu. La vie et l’agitation politique lui échappaient maintenant. La gloire et l’éternité historique lui appartenaient désormais. »

 

Jusqu'ici tout va bien - 12 nouvelles sur la phobie

Audacieuse, intelligente, enjouée : l'anthologie Antidata sur la phobie.

Publiée en novembre 2013, fidèle à une formule ayant désormais largement fait ses preuves, enchantant depuis plusieurs années les amateurs de forme courte, à la fois audacieuse, intelligente et enjouée, cette anthologie collective des éditions Antidata est consacrée à la phobie.

Après la maison (« CapharnaHome », 2010), la nuit (« Tapage nocturne », 2011), la musique (« Douze cordes », 2011), le football (« Temps additionnel », 2012) et le cinéma (« Version originale », 2013), voici le temps de la peur, sous toutes ses formes, en douze nouvelles roboratives en diable.

Sébastien Gendron (« Merci de composer votre code à l’abri des regards ») montre avec une noire malice les dégâts que peut causer la défiance vis-à-vis des distributeurs automatiques. Stéphane Monnot (« Foby chien fidèle »), dont on appréciait déjà énormément le beau recueil « Noche triste » chez le même éditeur, et coutumier des discrets hommages à Hubert-Félix Thiéfaine (ici, en exergue), explore la tentation de l’animal familier comme déversoir de nos névroses, et en exhume avec bonheur amitié et amour. Olivier Boile (« Le vengeur du peuple »), dans l’un de ces paradoxes que ne renieraient sûrement ni le Goscinny d’ « Astérix et les Normands » ni le Michel Folco de « Dieu et nous seuls pouvons », insinue la peur du sang au sein d’une bien respectable famille de bourreaux et en constate joyeusement les effets. Christophe Ségas (« Une Cléopâtre de Monoprix ») trouve un détour original pour confronter une surprenante phobie à la « simple » fièvre accumulatrice et consommatrice. Laurent Banitz (« Ciel dégagé sur l’ensemble du trajet ») réussit à donner – mieux que bien des films à sensation et gros budget – du corps et du nerf à la « banale » angoisse ressentie par certains au moment de prendre l’avion. Frédérique Trigodet (« Vide et interstices ») démonte la peur du vide et démontre sa nature profondément sociale, en une subtile et drôle pirouette qui mobilise joliment les dancefloors de nos adolescences et de nos jeunesses. Bertrand Bonnet (« Blanc néon »), dont on suit avec une certaine ferveur depuis longtemps les critiques littéraires sous le nom de Nébal, fait du sommeil l’ennemi, du Red Bull une bien insignifiante barrière protectrice in fine, et nous prouve en un flash éblouissant que les raisons d’avoir peur étaient sans doute bien réelles. « X » n’aura finalement pas produit pour ce recueil, mais nous fait néanmoins sourire sans difficulté. Hélène Frank (« Chez ces gens-là »), en un exceptionnel hommage à Jacques Brel, parvient à inscrire les phobies au rang des biens matériels et immatériels dignes d’être jalousement accumulés par la bourgeoisie capitaliste, et rate d’un cheveu mon podium personnel dans cette anthologie.

Mes trois préférées du recueil ne comptent donc, exceptionnellement, aucune nouvelle de Malvina Majoux, puisqu’elle ne participait pas à cette aventure-ci.

Marie Lelièvre (« Trois jours ») crée un choc à la fois tendre et atroce, dans lequel le silence n’est résolument pas d’or. « Les jours étaient passés, tout était redevenu calme mais la fillette sentait une tension latente. Elena avait entrepris un rangement, ou plutôt un tri, assez conséquent. Le beurrier avait été placé dans un grand carton, en compagnie de toutes sortes d’objets susceptibles d’être renversés, cassés, ou de faire du bruit, puis mis à la benne devant la maison. »

Ludmila Safyane (« Parking ») imagine avec un brio effroyable ce qui peut se nicher dans la peur des araignées, et les dangers potentiellement mortels, quoiqu’inattendus, qu’elle peut engendrer. « Elle tâtonne, cherche l’interrupteur, elle sent que toutes les araignées du parking sont là, autour d’elle, qu’elles l’épient, qu’elles se foutent de sa gueule, qu’elles s’apprêtent à tomber sur sa robe légère, sur ses jambes nues, dans ses cheveux. ».

Gilles Marchand (« Le premier tour »), en huit pages, réussit un véritable miracle d’équilibre, de malice, d’ambition, de jeu littéraire et de poésie subtile, en comblant les failles nécessaires de l’imaginaire de l’île déserte, en utilisant les notes de bas de page comme une arme de guerre littéraire, et en changeant résolument le sens de ce que peut être le « manège de la vie ». « Être allongé en plein soleil sur une plage déserte peut revêtir tous les aspects du fantasme. Les cocotiers, le rythme des vagues, quelques cris d’oiseaux marins, aucun doute le décor de rêve est en place. Sauf que 1) j’ai mal 2) je ne suis ni sur une chaise longue, ni sur un transat, ni même sur une serviette étalée sur la grève. Pour être tout à fait précis, j’ai les pieds dans l’eau, du sable dans la bouche et je ne me souviens pas avoir prévu à un moment ou à un autre de me retrouver allongé ici, à cette heure. Pire encore : 3) je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où se situe « ici ». »

Un recueil très réussi, prenant place d’emblée parmi les meilleurs d’Antidata, alliant en une subtile instabilité le rire et les larmes, sans complaisance, avec une vigueur d’écriture bien réelle. Ce qui ne doit nullement empêcher la lectrice ou le lecteur qui découvriraient seulement à présent cette magie bien particulière de se précipiter aussi, sans attendre, sur les précédentes anthologies, « Version originale », « Temps additionnel » ou encore « Douze cordes ».

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45 photos intenses des lieux et des êtres d'Agbobloshie, l'immense décharge d'ordinateurs du Ghana.

Publié en 2011, cet album du photographe sud-africain Pieter Hugo regroupe 45 clichés pleine page tous réalisés à la gigantesque décharge d'Agbobloshie, au Ghana, l'une des plus grandes d'Afrique et du monde en ce qui concerne les matériels électroniques usagés...

Associant des objets, des espaces et des personnes, sur lesquelles se voient à l'oeil nu du photographe, c'est le cas de le dire, les dégâts occasionnés par les innombrables substances librement relâchées dans cet endroit qui n'est pas, hélas, hors du monde, et s'affirme ici bien digne de l'enfer de Dante.

Accompagné d'un bref et saisissant avant-propos de Federica Angelucci ("Harvest"), qui associe en grinçant l'acte de "moissonner" réalisé par les écumeurs de la décharge, et la faux de la mort qui les guette plus encore de ce fait, et par une songeuse et angoissée postface de Jim Puckett ("A Place Called Away") qui tente de décrire et d'expliquer la possibilité de l'existence de cette île niant notre humanité.

Un livre magnifique, fort en images comme en sens, pour soi ou pour offrir.

 

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