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Actualités

Libraire du mois - Asphalte (Novembre 2012)

Paul AUSTER, La trilogie new-yorkaise

William KOTZWINKLE, Fan Man

MEZZO & PIRUS, Le roi des mouches (T1 Hallorave & T2 L'origine du monde)

Albert COSSERY, La violence et la dérision

Will SELF, Le livre de Dave

Tom WOLFE, Acid Test

Jeff VANDERMEER, La cité des saints et des fous

Novembre en intensité

Finissant octobre avec deux belles rencontres (nos amies les éditrices d'Asphalte, libraires invitées le jeudi 25 octobre et nos deux attachants spécialistes du noir, Serge Quadruppani et Dominique Forma, avec l'éditeur Rivages Noir, le vendredi 26 octobre), nous voici prêts pour déguster un mois de novembre tout en intensité.

Le jeudi 1er et le vendredi 2 novembre, on s'essaie à créer une tradition, en déballant pour vous, pour la troisième fois, nos occasions, habituellement confiées à notre partenaire en ligne Ys ou confinées dans notre arrière-boutique. Beaucoup de nouveaux livres sont arrivés depuis la dernière fois, fin août, alors venez nombreuses et nombreux.

Le jeudi 8 novembre, nous recevrons Luc Dellisse, auteur franco-belge attachant et incisif, dont nous avions remarqué jadis l'étonnant Le professeur de scénario, et qui nous revient avec un roman-essai caustique et malin sur la crise en cours, intitulé 2013.

Le mardi 13 novembre, ce sera déjà la 4ème édition de notre mini-festival Les Dystopiales, pour laquelle nous estimons vous avoir bien gâtés... Vous pourrez ainsi y rencontrer :

- Robert Charles Wilson, dont le récent Vortex semble clore l'exigeante série de science-fiction initiée avec Spin et Axis,

- Norman Spinrad, qui viendra fêter chez nous la sortie du Temps du rêve, son tout nouveau roman qui devrait vous surprendre et vous enchanter,

- Yves et Ada Rémy, dont Le Prophète et le Vizir a constitué en juin dernier l'impressionnant retour à l'écriture, 44 ans après Les soldats de la mer et 34 ans après La maison du cygne,

- Stéphane Beauverger, dont les ouvrages et en particulier son beau Déchronologue comptent parmi les chouchous de Scylla et de Charybde,

- Thomas Day, dont l'inquiétant Women In Chains dresse un sombre portrait, à peine futuriste, des violences faites aux femmes,

- Tarik Noui, avec son À nos pères, où une sorte d'insensé Fight Club gériatrique devrait vous secouer,

- Laurent Genefort, dont le Points chauds revisite avec brio les approches faussement sérieuses des guerres de zombies à la World War Z, face cette fois à l'arrivée des extra-terrestres, et dont l'Omale viendra tout juste d'être réédité,

- et enfin le dessinateur Manchu, dont les vaisseaux spatiaux, les paysages futuristes et les fresques incisives ornent tant de nos couvertures préférées. Un programme dense et réjouissant, non ?

Le jeudi 15 novembre, nous recevrons Ken Bugul, auteur sénégalaise ayant arpenté l'Europe et l'Afrique de l'Ouest au cours d'un parcours pour le moins atypique, pour évoquer avec elle ses récits et ses romans, toujours en équilibre instable et riche entre deux continents.

Le samedi 17 novembre, tandis que nos amis des éditions Dystopia seront aussi présents tout le week-end sur le salon L'Autre Livre à l'Espace des Blancs Manteaux (Paris 4ème), nous fêterons avec une partie d'entre eux le lancement de Tadjélé - Récits d'exil, la suite tant attendue des Yama Loka Terminus et Bara Yogoï de Léo Henry et Jacques Mucchielli (Léo Henry, l'illustrateur Stéphane Perger, et Laurent Kloetzer en vedette américaine, seront présents chez Charybde) ainsi que de leur anthologie Dystopia N°1, savant assemblage d'inédits et d'extraits des publications des auteurs favoris de la maison.

Le jeudi 22 novembre, nous aurons la joie d'accueillir une soirée spéciale Enig Marcheur, autour de l'œuvre extraordinaire de Russell Hoban, en présence de l'éditeur de ce projet hors normes, Monsieur Toussaint Louverture, de son traducteur Nicolas Richard, et d'Anne-Sylvie Homassel, qui traduit aussi actuellement un ouvrage insolite...

Et nous finirons le mois, le jeudi 29 novembre, avec le retour de Fabrice Pataut, très apprécié en tant que libraire invité en mars dernier, qui viendra nous parler et faire lire par l'acteur Xavier Clion des extraits de ses quatre romans.

Le dernier lapon

Premier roman d’Olivier Truc, Le dernier Lapon nous plonge d’emblée au cœur d’un monde et d’une culture pour le moins particuliers.

Klemet et sa jeune partenaire Nina travaillent en effet en Laponie… à la police des rennes. Chargés de régler les litiges entre éleveurs et de veiller au respect des règles très spécifiques liées à l’élevage des rennes, ils sont sans cesse confrontés à un microcosme tout à la fois nourri d’une histoire séculaire et confronté aux réalités plus immédiates de la rentabilité et de la mondialisation.

Le jour même de la fin de la période de nuit polaire, un très vieux tambour shaman est volé au musée auquel il venait tout juste d’être restitué. Symbole d’une culture et d’une histoire largement bafouée par les sociétés modernes, sa disparition provoque aussitôt de vives tensions et fait resurgir de manière étonnante des événements oubliés depuis des décennies…

 

D’emblée, le pari du polar ethnologique est gagné. Si le risque est toujours grand de se retrouver devant un décor de carton-pâte aux vagues relents exotiques, le roman nous plonge dans la culture lapone dès les premières pages pour n’en plus ressortir. La dureté et la beauté des paysages, la richesse de cette culture millénaire nourrissent le récit et c’est peu dire que l’auteur maîtrise son sujet. Certains personnages (Aslak en particulier)  recèlent une altérité tout à fait fascinante par rapport à nos canons occidentaux.

Olivier Truc a également l’intelligence de centrer son intrigue sur un élément symbolique très fort et très particulier de cette société, éloignant ainsi Le dernier Lapon des sentiers battus. Pour le reste, le récit est mené de main de maître avec son lot de rebondissements soigneusement dosés et une montée en puissance digne des très bons écrivains du genre.

 

Un thriller étonnant, profondément dépaysant et hautement recommandable.

L'étoile du matin

1919, Oxford. Pour Robert Graves, C.S. Lewis, J.R.R. Tolkien et Lawrence d'Arabie : vaincre la guerre par le mythe, le récit et la poésie.

Publié en 2008 et traduit en français en 2012, L’étoile du matin est le premier roman solo de Wu Ming 4, l’un des membres du formidable collectif littéraire italien Wu Ming, à qui l’on doit notamment les extraordinaires Q (L’œil de Carafa en français), Manituana et 54 (non traduit en français).


Wu Ming 4 a choisi un terrain surprenant, qui se révèle à la lecture d’une richesse exceptionnelle, pour proposer un bilan de la confrontation entre humanisme et sauvagerie. En 1919, à Oxford, un certain nombre d’étudiants et de professeurs, chercheurs, poètes ou littérateurs, tentent de revenir à leurs arts, de les réinventer ou de leur rendre une possibilité d’existence, après avoir été confronté de près à l’horreur dans la boue des tranchées de la Somme, où nombre d’entre eux ont perdu amis et proches, dans des conditions souvent particulièrement atroces.


Les protagonistes du roman sont ainsi, au premier chef, Robert Graves, poète déjà en cours de reconnaissance et futur immense spécialiste de la mythologie grecque, John Ronald Reuel Tolkien, qui écrit presque en secret les premiers textes qui conduiront, beaucoup plus tard, au Seigneur des Anneaux, C.S. Lewis, chrétien convaincu, pris dans les filets complexes d’une double vie et d’une aigreur mal maîtrisée, bien avant de devenir l’auteur mondialement célèbre des Chroniques de Narnia. Tous trois vont graviter autour d’une étoile qui les force à se révéler à eux-mêmes ou aux autres : T.E. Lawrence. De retour à Oxford, l’ex-archéologue, désormais colonel et, sous le surnom de Lawrence d’Arabie, héros célébrissime de la révolte arabe contre les Turcs au cours du conflit qui vient de s’achever doit à la fois écrire, à la demande générale, ses mémoires de guerre, qui ne s’appellent pas encore Les sept piliers de la sagesse, et surmonter les abîmes que sont devenus ses doutes intimes : horreurs personnelles du combat irrégulier, honneurs bafoués ou promesses trahies. Encore plus que les autres, il a vécu aux premières loges le développement du gouffre, désormais solidement installé, entre la culture humaniste de sa jeunesse et la réalité du monde moderne, et est paradoxalement en pointe dans le combat que la poésie peut encore espérer livrer, malgré tout…


Dès que, lecteur, l’on accepte ces étonnantes prémisses et cet espace de jeu peu ordinaire, on se trouve plongé dans un roman ambitieux et terrible, sous ses airs feutrés et oxfordiens. Du très grand art, digne en tous points de la puissance de Wu Ming. Et pour citer la pertinente conclusion de la quatrième de couverture : « L’un des membres du collectif repose à sa manière méditative la question que les quatre de Bologne ne cessent de creuser, celle du travail des mythes. Ou comment transformer le monde en le racontant. »

« Ronald baissa les yeux sur son cahier et écouta la pluie pour chasser les images de l’attaque d’Orvillers. Elles l’assaillent parfois à l’improviste, mais heureusement moins souvent que dans les premiers mois du retour. Ces jours-là, il n’avait rien pu faire d’autre qu’écrire et écrire encore. Il n’avait pas trouvé de meilleur moyen pour dompter les monstres que de les transformer en créatures de fables, à placer de l’autre côté du miroir, au royaume des fées. Le pouvoir mystérieux de la langue le lui permettait, la force évocatrice ancestrale. Le mystère des mots.
C’était ce type bizarre au musée qui lui avait donné cette définition. Au fond, c’était ça qui l’avait poussé à créer une langue à la fois nouvelle et très ancienne, l’idiome des fées qu’Edith adorait, la clé pour accéder à l’autre partie du monde.
Les discours de Lawrence allaient au-delà des préjugés : une qualité rare. Il s’était présenté comme archéologue. Quand Ronald avait révélé son propre métier, il avait eu l’air intrigué.
- Un philologue sonde le mystère des mots, n’est-ce pas ?
Pris au dépourvu, Ronald avait acquiescé. »

 

[... Charybde 1 approuve.]

Libraire du mois - Feuilleton (Octobre 2012)

John Howard GRIFFIN, Dans la peau d'un noir

Gustav JANOUCH & Maurice NADEAU, Conversations avec Kafka

Paul FOURNEL, Anquetil tout seul

Philip ROTH, Opération Shylock

Philip ROTH, Parlons travail

Valérie MREJEN, Pork and Milk

Joan DIDION, L'Amérique (Chroniques)

Noir sur blanc

Sujets délicats et intimes, beauté d'une écriture intelligente et sensible à la fois.

Ce récit de Ketty Steward, paraissant en ce mois d'octobre 2012, est un texte captivant et fort, qui peut se lire de plusieurs manières (en tout cas d'au moins trois).

Un jeu narratif d'abord, plutôt cruel mais totalement salutaire, d’échanges, de renvois et de retours entre le noir et le blanc, remarquablement mis en valeur et en lumière par les photographies de Bertrand Robion, en vingt instantanés, émotions parfois bouillonnantes « en dessous » d’une enfance et d’une jeunesse, martiniquaise puis wallonne et métropolitaine, instants qui fonctionnent aussi comme les étranges stations d’un chemin de souffrance, de lutte et d’apaisement. Couleurs de peau, racismes et complexes associés, religions, hypocrisies et obscurantismes, rituels sociaux vides de sens et rites personnels à inventer et élucider (et les rôles étrangement syncrétiques que peuvent y jour chats ou baraques à frites), silences mortifères et coupables absences, agressions sexuelles et complaisances familiales forcenées,… Tout cela raconté sans céder une seconde à la tentation de la pornographie charcutière (©Judith Vernant), tellement à la mode en cette rentrée littéraire, mais drapé dans une parole dense qui ne cache rien, maintenant avec force une pudeur nécessaire sur la douleur et ses conséquences.

Une sourde réflexion ensuite, calme mais intense, sur le mal et la souffrance qui remplissent une identité, et sur la manière de s’en délivrer, sur la quête longue et ardue que cela représente, sur le rôle de la colère, de l’aide rencontrée, du récit, de l’apprentissage et de l’écriture. Sur le cheminement personnel, la confiance, soi et les autres. Un fil intellectuel parfois fragile, mais dont la solidité s’affirme page après page.

Une grille de lecture, enfin, qui propose, offre et souligne au lecteur qui le désire de saisir ou d’approcher les racines de certaines des fulgurances qui peuplent les textes de Connexions interrompues, le recueil de nouvelles paru en 2011, dont un critique attentif et inspiré disait qu’il s’agissait plutôt de « Douleurs uniformisées ». La résonance entre les deux textes est permanente et féconde, elle donne nettement envie d’en savoir davantage, et de découvrir de nouveaux récits que le formidable moteur littéraire de Ketty Steward, ici largement mis à nu, devrait nous proposer.

Sans s'en rendre compte, cette épicière avait été mon premier "caillou blanc". Une piste pour m'indiquer que les adultes ne sont pas tous les mêmes, que la liberté est au dehors et qu'il faut essayer d'aller à l'aboutissement de ses rêves. Je me sentis la force de daire à pied la distance qui me séparait du carrefour de Simon, ma deuxième étape ; là où je pourrais attendre le taxi collectif. Un pas après l'autre, il suffisait de marcher, de réaliser que j'étais seule au monde, seule avec ma volonté d'avancer, pied gauche, pied droit, pied gauche et ainsi de suite. (...)

Les mots, pour les avoir, nous devions les voler, constamment. Ma mère parlait de son ancien mari - mon père à vie - à sa mère et à sa sœur. Elle en faisait un monstre égoïste et absent. Tout me semblait faux, mais c'étaient déjà des mots. Une manne si rare que je les gardai. Les quelques fois où j'avais le courage de craqueler le vernis pour poser des questions, on me renvoyait illico à mes jeux et à mon manque de réponses. Où était mon père ? Nous avait-il abandonnés ? Reviendrait-il ? Ne nous aimait-il plus ? Et ma mère aimait-elle encore celui qui avait été l'homme de sa vie et le père de ses enfants ? Les mots se terraient sans cesse et j'eus envie de les débusquer.

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